Critique par Jacqueline Lagrée, Études, mai 2000

Jean Claude Ameisen
La Sculpture du vivant
Le suicide cellulaire ou la mort créatrice
Seuil, 352 pages, 145 F.

Que la vie soit construite sur la mort surmontée, c'est ce que nous pensions avoir appris de Hegel. Qu'un biologiste prenne la peine de nous expliquer la découverte de l'apoptose ou mort cellulaire programmée - le "suicide" cellulaire -, et c'est toute notre conception de la croissance, du vieillissement, de la construction du moi biologique et de ses défenses immunitaires, du cancer et des fantasmes du clone qui s'en trouve bouleversée. Ce que je retiens de ce livre passionnant, informatif toujours sans jamais être ennuyeux, qui prend la peine d'élever pas à pas son lecteur en usant d'abord de métaphores et d'analogies mythologiques pour le mener progressivement vers le concept et la science vivante, c'est l'insistance mise sur la relation entre interdépendance et complexité, solidarité et liberté. Non que Ameisen justifie des transferts du biologique au social; bien au contraire, il montre combien les développements récents de la biologie cellulaire doivent nous inciter à reposer lucidement les interrogations éthiques. Si le biologiste raconte le récit tumultueux de nos origines, ce n'est pas pour nous y enfermer, mais bien pour nous inciter à inventer notre avenir, dans le respect de la liberté et de la dignité humaines. Un livre décisif, dérangeant, à lire absolument, sans plus attendre, pour vieillir avec intelligence.

Jacqueline Lagrée