La Sculpture du Vivant

Le suicide cellulaire ou la mort créatrice

Jean Claude Ameisen

Éditions du Seuil

 

Nous sommes chacun une nébuleuse vivante, un peuple hétérogène de milliards de cellules, dont les interactions engendrent notre corps et notre esprit. Aujourd'hui, nous savons que toutes ces cellules ont le pouvoir de s'autodétruire en quelques heures. Et leur survie dépend, jour après jour, de leur capacité à percevoir les signaux qui empêchent leur suicide. Cette fragilité même, et l'interdépendance qu'elle fait naître, est source d'une formidable puissance, permettant à notre corps de se reconstruire en permanence. A l'image ancienne de la mort comme une faucheuse brutale se surimpose une image radicalement nouvelle, celle d'un sculpteur au cœur du vivant, faisant émerger sa forme et sa complexité.

Cette nouvelle vision bouleverse l'idée que nous nous faisons de la vie. Elle permet une réinterprétation des causes de la plupart de nos maladies et fait naître de nouveaux espoirs pour leur traitement. Elle transforme notre compréhension du vieillissement.

C'est un voyage que propose ce livre. Un voyage à l'intérieur de nous-mêmes, de nos cellules et de nos gènes. Une plongée vers le moment où commence notre existence, à la rencontre du suicide cellulaire à l’œuvre dans la sculpture de notre corps en devenir; mais aussi une plongée vers un passé plus lointain, au travers de centaines de millions d’années, à la recherche des origines du pouvoir étrange et paradoxal de s’autodétruire qui caractérise la vie. Un voyage à la découverte de l’une des plus belles aventures de la biologie de notre temps. Comme toute exploration d’un pan inconnu de notre univers, ce livre nous révélera des paysages d’une grande beauté. Il nous permettra aussi de ressentir combien la science peut parfois entrer en résonance avec nos interrogations les plus intimes et les plus anciennes.

 

"Un livre de réflexion et de vulgarisation parmi les plus beaux et les plus originaux de ces dernières années" G. Corbellini. Il sole 24 ore (Italie)

"Comme tous les grands textes scientifiques, c’est aussi et avant tout une réussite philosophique. Une fresque capable de modifier profondément l’image que nous avons de nous-mêmes et du monde" P. Greco. Il Manifesto (Italie)

"C'est un parcours long et sinueux, " fait de plongées à l'intérieur de nos corps et de nos cellules, de voyages à travers les branches du buisson du vivant et d'incursions dans les profondeurs du passé". C'est un mystère au cœur du vivant, un périple vers la mort qui livrera peut-être à nos enfants les clés de la longévité. Le suicide cellulaire, terra incognita ouvrant depuis peu de nouvelles perspectives scientifiques, médicales et philosophiques, valait bien cette invitation au voyage (…) … passionnant..." Catherine Vincent. Le Monde (France)

"Il est question d’Alice de l’autre côté du miroir, d’Ulysse et de Pénélope et du chant des sirènes, d’Adam et Eve dans le jardin d’Éden, et de l’idéogramme chinois qui signifie "moi". Il est question du jeu compliqué que la vie joue avec la mort depuis que le monde a commencé à être monde, de l’infiniment petit niché au sein de notre corps à l’infiniment grand de l’Univers. Et l’on pénètre dans ce vaste mystère à pas légers, comme dans une forêt épaisse dont l’auteur nous ouvre les chemins, à petites touches poétiques, et néanmoins rigoureusement scientifiques (...) …la science sait parfois raconter de belles et vertigineuses histoires, à lire et à relire." Irène Bérélowitch, Eurêka (France)

"La sculpture du vivant est un grand livre de divulgation scientifique, et en ce qui me concerne, le meilleur qu'il me soit arrivé de lire ces derniers temps" Andrea Sarti, Tageblatt (Luxembourg)

"C'est dans une vertigineuse réflexion philosophique que nous entraîne ce livre d'une savante limpidité" Gérard Badou, Le Nouvel Observateur (France)

"Un livre remarquable, qui donne à réfléchir sur la vie et sur la mort" Jean-Marie Moretti, Etudes (France)

"Le très beau livre de JC Ameisen" Philippe Sollers. Journal du dimanche (France).

"Un livre extraordinaire" Ugo Leonzio. L'Unita (Italie)

"Lorsque l’on referme le livre, l’émerveillement du vivant se combine avec la satisfaction d’avoir rencontré un homme." Jacques Lefèvre Business Digest (France)

"We can now revisit the idea that social control of cell death in eukaryotes also involves intracellular signals (as Ameisen believes) rather than just signals between cells (as Raff believes)" G. Melino, Nature (GB)

"Un livre exemplaire de vulgarisation scientifique" L. Simonelli, La Stampa (Italie)`

"Un ouvrage qui tient autant d'un thriller moléculaire que de la meilleure littérature fantastique, d'une veine philosophique et poétique incomparable, celle qui nous fait rêver et réfléchir." H. Goutal-Valère. Revue française de psychosmatique

"A book that is bound to become a guide in this sector. At the end of this journey the reader is left with a sense of astonishment and an inner awareness that nothing will ever be again as it used to appear." L. Miccoli. Leadership Medica (Italie)

 "Un livre fascinant comme un roman" F. Prattico. La Repubblica (Italie)

"Un vrai chef d'œuvre" Guido Olivieri, 24 heures (Suisse)

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L’auteur :

Jean Claude Ameisen, médecin et chercheur, est professeur d’immunologie à l’université Paris 7 et au Centre hospitalier universitaire Bichat. Il est président du comité d’éthique de l’Inserm et membre du Comité consultatif national d’éthique.
Il dirige l’équipe de recherches “Mort cellulaire programmée, pathogenèse du sida, et interactions hôtes/agents infectieux” dans l’unité Inserm/Université Paris 7 U552
Ses travaux font de lui l’un des meilleurs spécialistes de la mort cellulaire programmée.


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Le Monde. Débats, 16 Octobre 1999

 

Au cœur du vivant, l'autodestruction

 

"Quant à la mort, elle n'implique aucune positivité d'aucune sorte: le vivant est aux prises avec la stérile et mortelle antithèse, et se défend désespérément contre le non-être; la mort est le pur, l'absolu empêchement de se réaliser."
Vladimir Jankélévitch

 

Durant toute notre existence, nous portons en nous le sentiment de notre unicité, de notre irréductible individualité. Pourtant, nous sommes chacun une nébuleuse vivante, un peuple hétérogène de dizaines de milliers de milliards de cellules dont les interactions engendrent notre corps et notre esprit. Pour cette raison, toute interrogation sur notre vie et notre mort nous renvoie à une interrogation sur la vie et la mort des cellules qui nous composent.

Pendant longtemps, on a pensé que leur disparition — comme notre propre disparition — ne pouvait résulter que d'accidents et de destructions, d'une ultime incapacité à résister à l'usure et aux agressions de l'environnement. Mais la réalité s'est révélée d'une autre nature. Aujourd'hui, nous savons que toutes nos cellules possèdent le pouvoir, à tout moment, de s'autodétruire en quelques heures. Et leur survie dépend, jour après jour, de leur capacité à percevoir dans l'environnement de notre corps les signaux émis par d'autres cellules, qui, seuls, leur permettent de réprimer le déclenchement de leur suicide.

C'est à partir d'informations contenues dans nos gènes que nos cellules fabriquent en permanence les exécuteurs capables de précipiter leur fin, et les protecteurs capables de les neutraliser. D'une manière contre-intuitive, un événement positif — la vie — procède de la négation d'un événement négatif — l'autodestruction.

C'est cette fragilité même, ce sursis permanent et l'interdépendance qu'ils font naître qui sont une des sources essentielles de notre plasticité et de notre pérennité, permettant à nos corps de se reconstruire sans cesse et de s'adapter à un environnement perpétuellement changeant. A l'image ancienne de la mort comme une faucheuse brutale, surgissant du dehors pour détruire, s'est surimposée une image radicalement nouvelle, celle d'un sculpteur, au cœur du vivant, à l'œuvre dans l'émergence de sa forme et de sa complexité.

Dès les premiers jours qui suivent notre conception, dans les dialogues qui s'établissent entre les différentes familles de cellules en train de naître, le langage des signaux détermine la vie ou la mort. Le suicide cellulaire joue un rôle essentiel dans la sculpture des métamorphoses successives de notre corps en devenir et dans l'auto-organisation de notre cerveau et notre système immunitaire, les supports de notre mémoire et de notre identité.

Après notre naissance, notre corps d'enfant puis d'adulte demeure pareil à un fleuve, toujours recomposé. C'est le suicide cellulaire qui empêche notre système de défense immunitaire d'attaquer notre propre corps, et évite qu'une cellule qui a subi des altérations génétiques ne s'engage sur le chemin qui mène au cancer. Il n'est plus un domaine de la biologie et de la médecine qui ne soit aujourd'hui réinterprété à l'aide de cette nouvelle grille de lecture, et un bouleversement en matière de concepts thérapeutiques est en train de naître.

Pourtant, dans le même temps, le déploiement d'un langage scientifique riche de résonances anthropomorphiques — "suicide cellulaire", "mort programmée", "décision de vivre ou de mourir", "altruisme cellulaire" — a suscité une impression de révélation magique qui traduit à la fois la fascination exercée par ces phénomènes et la difficulté à en appréhender la nature.

Cette potentialité paradoxale de "mourir avant l'heure", comment se fait-il que nos cellules la possèdent? Nous avons tous une très longue histoire qui débute bien avant notre naissance et se déploie au long de l'immense lignée de nos ancêtres, dont la généalogie se perd dans la nuit des temps. Selon les mots d'Edgar Morin, "le problème le plus passionnant, plus mystérieux encore que celui de l'origine de la vie, est bien celui de l'origine de la mort". Quand, au cours de l'évolution du vivant, est apparue pour la première fois la potentialité de s'autodétruire, et dans quels corps, dans quelles cellules... Aujourd'hui, nous savons que le suicide cellulaire est à l'œuvre dans la construction de tous les corps des animaux et des plantes qui nous entourent, dont les premiers ancêtres sont probablement apparus il y a un milliard d'années.

Mais le suicide cellulaire sculpte aussi l'interdépendance, la complexité et la plasticité des innombrables formes de sociétés invisibles à l'œil nu que bâtissent les êtres vivants les plus simples et les plus ancestraux, les bactéries, qui règnent sur la Terre depuis probablement 4 milliards d'années.

Le pouvoir de s'autodétruire semble être profondément ancré au cœur du vivant. Il se pourrait qu'il ait été, dès l'origine, une conséquence inéluctable du pouvoir d'auto-organisation qui caractérise la vie. Vivre, se construire et se reproduire en permanence, c'est utiliser des outils qui risquent de provoquer l'autodestruction, tout en étant aussi capable de les réprimer.

Mais il y a sans doute eu, dans l'évolution de la mort, une autre dimension. Toute cellule est un mélange d'êtres vivants hétérogènes, une cohabitation contingente de différences, dont la pérennisation n'a sans doute eu le plus souvent pour solution alternative que la mort. Et c'est au rythme de ces combats, donnant soudain naissance à des symbioses — à des épisodes de fusion des altérités en de nouvelles identités — que se sont probablement diversifiés et propagés les enchevêtrements successifs des exécuteurs et des protecteurs qui aujourd'hui contrôlent le suicide cellulaire.

Ces relations anciennes qu'entretient la vie avec la mort "avant l'heure", se pourrait-il qu'elles soient aussi à l'œuvre dans la sculpture de notre longévité ? Le vieillissement de nos corps résulte-t-il uniquement d'une usure inévitable? Ou notre fin pourrait-elle procéder d'une forme d'autodestruction? Les frontières longtemps considérées comme infranchissables de la longévité maximale des individus ont commencé à révéler, dans certaines espèces animales, leur extraordinaire degré de plasticité. Ces frontières semblent avoir été sculptées de manière contingente par les confrontations successives, de génération en génération, entre les individus et leur environnement. Elles apparaissent comme des points d'équilibre, des formes de compromis entre des conflits que se livrent, à l'intérieur même des corps, des phénomènes "protecteurs" qui favorisent la pérennité des individus, et des phénomènes "exécuteurs" qui abrègent leur durée de vie, mais favorisent leur capacité à engendrer une descendance.

Si toute incarnation du vivant affronte l'usure et les agressions de l'environnement dans un combat perdu d'avance, il se pourrait que la pérennité de la vie ait procédé, paradoxalement, d'une capacité de chaque corps, de chaque cellule, à utiliser une partie des ressources qu'ils possèdent pour construire, au prix de sa disparition prématurée, une incarnation nouvelle.

«Bichat disait autrefois : ‘La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.’ Aujourd'hui, on aurait plutôt tendance à dire que ‘la vie est l'ensemble des fonctions capables d'utiliser la mort’», comme l'a proposé Henri Atlan. Le vieillissement progressif de chaque cellule, à mesure qu'elle enfante des cellules un temps plus jeunes et plus fécondes ; l'autodestruction brutale d'une partie des cellules au profit de la survie du reste de la collectivité ; le vieillissement d'un corps capable d'engendrer des corps nouveaux : toutes ces fins de monde, donnant naissance à des mondes nouveaux, ressemblent à autant de variations sur un même thème.

Comment pouvons-nous essayer de comprendre le comportement de nos cellules et de nos corps — et tenter de les modifier — si nous n'appréhendons pas que ce qui nous fait vieillir et disparaître est peut-être ce qui, en d'autres avant nous, nous a permis de naître ?

«Penser le sens de la mort non pas pour la rendre inoffensive, ni la justifier, ni promettre la vie éternelle, mais essayer de montrer le sens qu'elle confère à l'aventure humaine», disait Emmanuel Lévinas. Pour le biologiste, il s'agit, à un autre niveau, d'essayer d'appréhender jusqu'à quel point une forme aveugle, contingente et de plus en plus complexe de jeu avec la mort — avec sa propre fin — a pu être un déterminant essentiel du long voyage qu'a accompli à ce jour la vie à travers le temps, et du merveilleux foisonnement de nouveauté auquel elle a donné naissance.

Jean Claude Ameisen,

professeur d'immunologie à l'université Paris-VII et au centre hospitalier universitaire Bichat

 

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The Sculpture of life

Cell suicide or Death as a Creator

 

Each one of us is a living nebula, a heterogeneous people of billions of cells, the building blocks of our body and mind. It has long been thought that the death of our cells —as our own death— could only occur as a consequence of injury, damage and ageing, of an ultimate inability to resist environmental assaults and the passage of time. Today we know that as long as we live, all our cells continuously produce the weapons that allow them to self-destruct within a few hours. And they can only survive as long as they receive —and remain able to perceive— the signals emitted by other cells, that allow them to repress the induction of their suicide program.

This very frailty is the source of an absolute form of interdependence, linking the fate of each one of our cells to that of the collectivity of our body; and this interdependence, in turn, is the source of our complexity and our plasticity, allowing us to continuously reconstruct ourselves and adapt to new environments.

A new and paradoxical view of life has emerged from these findings: life as a suspended sentence; as a constant repression of self-destruction; as the negation of a negative process. The ancient image of death as a reaper, striking from without, has progressively given way to that of a sculptor at the heart of life, at work, from within, giving birth to novelty and complexity.

These concepts have transformed our usual ideas about life and death. They have led to a reinterpretation of the mechanisms involved in the development of most our diseases, providing new prospects for therapy. They are changing our understanding of the mystery of how and why we age, and, at a very different level, part of our representation of the long process of evolution that has led to our emergence, and to that of the kingdoms of life that surround us today.

It is a journey that this book proposes. A journey into the strange countries of our bodies, our cells and our genes. A travel towards the moments at which we begin our existence, towards the discovery of cell suicide at work in the sculpture of our metamorphoses; but also a travel into a more ancient past, through millions and billions of years, along the genealogy of our oldest ancestors, towards our answer to the mystery of the origins of the paradoxical power to self-destruct that characterises life. A journey throughout one of the most fascinating scientific adventures of our time.

As every unveiling of an unknown part of our universe, this book will reveal to us landscapes of striking beauty. It will also allow us to feel to what extent science can sometimes travel along the paths of our most personal feelings and our most ancient questions.

 

La Sculpture du vivant was awarded the 2000 Biguet Prize of Philosophy by the French Academy, and the 2000 Jean Rostand Prize by MURS-AESF.

 

Book presentation in english : Carving life. Cell suicide or Death as a creator. In: Leader for Chemist and Al cuore della vita, Luisa Micoli, Leadership Medica

 

Excerpts of selected book reviews from the press (Integral texts and other press reviews are on the book web site

"A book of reflection and popularization among the most beautiful and original ones of these last years" G. Corberllini. Il sole 24 ore (Italy)

"As all great scientific texts, it is also and above all a philosophical achievement. A fresco able to deeply modify the image we have of ourselves and of the world" P. Greco. Il Manifesto (Italy)

 "It is a long and sinuous journey, made up of plunges into our bodies and cells, of travels through the branches of the bush of life, and of incursions into the depth of the past. It is a mystery at the heart of life that will perhaps deliver to our children the keys of longevity. Cell suicide, terra incognita that opens lately new scientific, medical and philosophical perspectives, well deserved this invitation to undertake the journey (…) A fascinating book."  C. Vincent. Le Monde (France)

 "It is about Alice through the looking glass, Ulysses and Penelope and the song of the Sirens, Adam and Eve in the Garden of Eden, and the chinese ideogram that means 'me'. It is about the elaborate game that life plays with death since the world begun to be the world, from the infinitely small curled inside our body to the infinitely big of the Universe. And one enters in this vast mystery with light steps, as in a dense forest in which the author opens us the road, with small poetic strokes, yet rigorously scientific. (…) Science knows sometimes how to tell beautiful and vertiginous stories, to be read and read again."  I. Berelowitch. Eureka (France)

"A great book of scientific disclosure, the best I happened to read lately" A. Sarti, Tageblatt (Luxembourg)

"This book of a learned simplicity takes us along a vertiginous philosophical reflection" G.Badou. Le Nouvel Observateur (France)

"An outstanding book that gives us food for thought on life and death" J.M Moretti. Etudes (France)

"The very beautiful book from JC Ameisen" Philippe Sollers. Journal du dimanche (France)

"An extraordinary book" Ugo Leonzio. L'Unita (Italie)

"When one closes the book, the wonder of combines with the satisfaction of having encountered a man" Jacques Lefèvre Business Digest (France)

"We can now revisit the idea that social control of cell death in eukaryotes also involves intracellular signals (as Ameisen believes) rather than just signals between cells (as Raff believes)" G. Melino, Nature (UK)

"An exemplary essay of scientific popularization" L. Simonelli, La Stampa (Italie)

"A book that is bound to become a guide in this sector. At the end of this journey the reader is left with a sense of astonishment and an inner awareness that nothing will ever be again as it used to appear" L. Miccoli. Leadership Medica (Italy)

"A book fascinating as a novel" F. Prattico. La Repubblica (Italy)

"A real masterpiece" G. Olivieri, 24 heures (Switzerland)

 

The author:    
Jean Claude Ameisen, MD, PhD, is a professor of Immunology at Paris 7 University-Xavier Bichat School of Medicine in Paris, France. He heads a research laboratory “Programmed cell death, AIDS pathogenesis and host/pathogen interactions” in a research unit of the French National Institute of Health (INSERM) and Paris 7 University. Since 1990 he has made internationally recognised scientific contributions to the field of cell death research.

 

CV, 2004: International center for scientific research. Medicine. JC Ameisen

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Al cuore della vita

Il suicidio cellulare e la morte creatrice

"Serie Bianca" / Feltrinelli, 2° ed. 2001. Traduzione di Alessandro Serra

 

Ognuna delle nostre cellule possiede in ciascun momento e per l'intero arco della sua esistenza la facoltà di autodistruggersi in poche ore. E la sopravvivenza dell'insieme di cellule di cui siamo composti — la nostra stessa sopravvivenza — dipende dalla loro capacità di trovare nell'ambiente del nostro corpo i segnali che consentono di reprimere, giorno dopo giorno, lo scatenarsi del suicidio. Noi siamo società cellulari formate da componenti la cui vita è "in sospeso" e che sono incapaci di sopravvivere da sole. Per ciascuna delle nostre cellule vivere significa aver saputo impedire, per il momento, il suicidio. In un modo sconvolgente, controintuitivo, paradossale, un evento positivo — la vita — nasce dalla negazione di un evento negativo — l'autodistruzione.

L'ipotesi di Ameisen ha sconvolto in profondità la rappresentazione del funzionamento del nostro corpo, ha portato a una reinterpretazione delle cause della maggior parte delle malattie e ha aperto prospettive nuove al loro trattamento. Questa visione ha cominciato a trasformare anche il nostro modo di considerare l'invecchiamento e, su una scala completamente diversa, la lunga storia dell'evoluzione della vita che ci ha dato i natali. Alla vecchia rappresentazione della morte come un'entità estranea che brandisce la sua falce si è poco a poco sostituita un'altra immagine, quella di uno scultore che, al cuore della vita, ne fa emergere, giorno dopo giorno, la complessità.

"... storia, narrata con molto rigore e maestria ..." Edoardo Boncinelli, Il Corriere della sera

"Ameisen ha scritto un testo teorico-divulgativo tra i più belli e originali degli ultimi anni."   
"... travolgente tensione speculativa..."       
"... respiro culturale..."      
"... sano pragmatismo teorico..."   
Gilberto Corbellini, Il sole 24 Ore

"Ameisen non vuole privarsi della potenza emotiva del linguaggio e non la censura: ne ha bisogno – e con lui tutta la biologia, sottintende – per guardare e dire la morte come agente di vita" Sylvie Coyaud, Le Scienze

"... un esamplare saggio di divulazione scientifica ..." L. Simonelli, La Stampa, Tuttoscienze

"... un testo affascinante come un romanzo, pur nel rigore scientifico ..." Franco Prattico, La Repubblica

" ... un libro destinato a divenire una guida nel suo settore".           
"Alla fine di questo percorso si esce con un senso di stupore, e di intima consapevolezza che nulla potrà sembrare più ciò che era prima". Luisa Miccoli Leadership Medica

"Un testo scientifico che si fa leggere con estremo piacere, perché l'autore ci conduce nei più profondi misteri della biologia, usando miti, esempi, riferendo ricerche sue e di altri studiosi con lo stupore e la semplicità di un bambino." Francesca Amoni, Il Giorno

"... come tutti i grandi testi scientifici, è anche e sopratutto un'opera filosofica. Un affresco capace di modificare in profondità l'immagine che abbiamo di noi stessi e del mondo." Pietro Greco, Alias, supplem. de Il Manifesto

 

Jean Claude Ameisen presenta Al cuore della vita (interprete : Silvana De Amicis) :  
Una delle più belle avventure della biologia dei nostri tempi, meravigliosamente raccontata da uno dei suoi massimi protagonisti. La scoperta che ha rivoluzionato il nostro modo di intendere la vita e la morte e ha aperto nuove speranze di longevità e di cura delle malattie. L'autore ha presentato il libro a Milano in un'affollata sala della Libreria Feltrinelli di piazza Duomo.          
Ascolta la presentazione

 

Texte de l'éditeur figurant sur la 4ème page de couverture du livre :

Ci sono scoperte impreviste come quella della penicillina, scoperte tenacemente ricercate come la mappatura del codice genetico umano. E poi ci sono scoperte rivoluzionarie, in grado di provocare un cambiamento di prospettiva così radicale da innescare un processo a catena di revisione delle idee più consolidate. L'apoptosi, o suicidio cellulare, è una di queste.           
In un modo sconvolgente, controintuitivo e paradossale, un evento positivo — la vita — sembra nascere da un processo ritenuto negativo, quello dell'autodistruzione. La teoria spiegata da Ameisen sconvolge la rappresentazione del modo in cui funziona il nostro corpo, cambia l'idea di invecchiamento, porta a una diversa interpretazione della malattia, apre nuove vie di cura e, infine, ridefinisce la nozione stessa di evoluzione delle specie.

La teoria del "suicidio cellulare" ha rivoluzionato il nostro modo di intendere la vita e la morte, sta trasformando le nostre cognizioni sull'evoluzione degli organismi viventi e ha aperto nuove speranze per la cura di gravissime malattie come il cancro o i morbi di Alzheimer e di Parkinson. 

Jean Claude Ameisen, medico e ricercatore, è professore di immunologia all'Università Paris VII e presso il Centro ospedaliero universitario Bichat. Dirige inoltre un'équipe di ricerca dell'Inserm, l'istituto superiore di ricerche mediche francese. Scienziato di grande fama, è tra i massimi specialisti mondiali sull'apoptosi o "morte cellulare programmata".

Il libro ha ottenuto il prestigioso Prix Biguet de littérature et de philosophie de l'Académie française e il Prix Jean Rostand

 

Leggi un estratto :    


I regni del suicidio cellulare
Nei primi giorni che seguono il nostro concepimento – nel momento stesso in cui inizia per noi l’esistenza – il suicidio cellulare è già all’opera nel nostro corpo in via di costruzione e plasma le metamorfosi successive della nostra forma in divenire. Negli abbozzi del nostro cervello e del nostro sistema immunitario, la morte cellulare è parte integrante di uno strano processo di apprendimento e di auto-organizzazione il cui esito non è la scultura di una forma ma quella della nostra memoria e della nostra identità. Nel dialogo permanente che si stabilisce sin dall’inizio della nostra esistenza tra le diverse popolazioni cellulari di cui siamo costituiti, il linguaggio genera la vita, ma anche la morte. Le armi che esse creano a partire dalle informazioni contenute nei nostri geni e che permettono loro in qualsiasi momento di imboccare la via dell’autodistruzione, le nostre cellule continuano a produrle per l’intero arco della nostra esistenza. I regni del suicidio cellulare non conoscono frontiere. Il nostro corpo di bambini prima, poi di adulti, è simile a un fiume che si rinnova incessantemente. E i territori che – per un periodo determinato – persistono in noi sono fragili quanto quelli che scompaiono e rinascono giorno dopo giorno.           
È’ questa stessa fragilità, questa precarietà, questo rinvio permanente a costituire la vera fonte della nostra potenza e della nostra complessità, permettendo, in ogni momento, ai nostri corpi di scolpirsi, di ricostruirsi, di ricomporsi e di adattarsi a un ambiente in continuo mutamento.         
Ma emerge anche, in trasparenza, come un’immagine speculare della nostra complessità, una vulnerabilità nuova, sino a poco tempo fa insospettata. Allo splendore del regno del suicidio cellulare si sovrappone una faccia oscura, nascosta, che ci minaccia. Tumori, Aids, malattie degenerative del cervello, crisi cardiache, epatiti, incidenti vascolari cerebrali... la maggior parte delle nostre malattie si rivelano legate a disfunzioni del suicidio cellulare. Non vi è più ambito della biologia o della medicina che non sia stato reinterpretato alla luce di questa nuova griglia di lettura, di questa nuova stele di Rosetta. E la promessa di una rivoluzione terapeutica va ormai profilandosi.

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La Sculpture du vivant /Al cuore della vita
Revue de Presse / Recensioni

Eurêka, octobre 1999 n°48, p. 72-73, Guide Livres

La règle du jeu         
ou comment le suicide de milliards de nos cellules conditionne notre survie, et peut-être, demain, de nouvelles victoires contre la mort, notamment contre le cancer
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Il est question d’Alice de l’autre côté du miroir, d’Ulysse et de Pénélope et du chant des sirènes, d’Adam et Eve dans le jardin d’Éden, et de l’idéogramme chinois qui signifie "moi". Il est question du jeu compliqué que la vie joue avec la mort depuis que le monde a commencé à être monde, de l’infiniment petit niché au sein de notre corps à l’infiniment grand de l’Univers. Et l’on pénètre dans ce vaste mystère à pas légers, comme dans une forêt épaisse dont l’auteur nous ouvre les chemins, à petites touches poétiques, et néanmoins rigoureusement scientifiques. Jean Claude Ameisen, médecin et biologiste, est aussi un écrivain qui sait prendre son temps, pour raconter comment le "suicide cellulaire", ou apoptose, qui entre en œuvre dès que la vie apparaît, est devenu depuis quinze ans l’enjeu d’une quête mondiale, d’une course contre la mort et le vieillissement des hommes.

Le suicide cellulaire, tout au long de la vie

On sait depuis longtemps, explique-t-il, que la mort entame son travail de "sculpture du vivant" dès que l’embryon se niche dans le corps de sa mère, effaçant par exemple l’appendice caudal légué par de lointains ancêtres. C’est la "mort programmée" inscrite dans nos cellules, qui, grâce à l’interaction des gènes et des protéines, provoque le "suicide" de millions d’entre elles, et régule au sein de notre corps ce qui s’apparente à de véritables "rites funéraires". Puis l’on a découvert que le suicide cellulaire ne s’arrêtait pas à l’embryon, mais se poursuivait tout au long de la vie : chaque jour, plus de cent milliards de nos cellules s’autodétruisent, faisant disparaître en nous jusqu’à un kilo de la matière dont est constituée notre corps.

La réalité plus étrange que la fiction...

Restait à comprendre la règle du jeu, et aussi la nature de ses dérèglements, quand la destruction l’emporte sur la vie, que les lymphocytes T du système immunitaire disparaissent après l’intrusion du virus du sida, ou, à l’inverse, quand le suicide cellulaire se bloque, et que les cellules cancéreuses prolifèrent et voyagent. Cette "nouvelle frontière" de la médecine, ce paradigme révélé petit à petit, comme le contour blanc des Terra incognita sur les cartes maritimes d’autrefois, Jean Claude Ameisen le décrit à merveille. Mais il sait aussi montrer combien ce combat d’aujourd’hui éclaire la genèse de nos origines, il y a 3,5 milliards d’années. Et comme "la réalité est plus étrange que la fiction", selon l’une des citations dont il émaille avec bonheur son récit, la science sait parfois raconter de belles et vertigineuses histoires, à lire et à relire.

Irène Bérélowitch

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Le Monde, Le Monde des livres, 29/10/1999, SCIENCES

Mystère du suicide cellulaire

LA SCULPTURE DU VIVANT
de Jean Claude Ameisen. Seuil, 340 p.,145 F (22,10 €).

C'est un parcours long et sinueux, "fait de plongées à l'intérieur de nos corps et de nos cellules, de voyages à travers les branches du buisson du vivant et d'incursions dans les profondeurs du passé". C'est un mystère au cœur du vivant, un périple vers la mort qui livrera peut-être à nos enfants les clés de la longévité. Le suicide cellulaire, terra incognita ouvrant depuis peu de nouvelles perspectives scientifiques, médicales et philosophiques, valait bien cette invitation au voyage.

Chacune de nos cellules, tout au long de son existence, possède un fabuleux pouvoir: celui de s'autodétruire en quelques heures. Et cette aptitude au suicide est vitale. Sans l'apoptose (du grec apoptosis, qui désigne la chute automnale des pétales ou des feuilles), l'embryon resterait une masse informe. Le cerveau, vite envahi d'un trop-plein de neurones, ne se connecterait pas correctement. Et le système immunitaire, qui mobilise une armée de cellules spécialisées pour lutter contre une infection, ne saurait que faire de ses troupes une fois la victoire assurée.    

"Pour chacune de nos cellules, vivre, c'est avoir réussi à empêcher, pour un temps, le suicide", résume Jean Claude Ameisen. Pas à pas, rouage après rouage, il montre comment, à la représentation ancienne de la mort comme une faucheuse surgissant du dehors pour détruire, s'est peu à peu substituée une autre image, celle d'un sculpteur, au cœur du vivant; faisant, jour après jour, émerger la complexité". Avant de détailler, dans un style limpide et imagé, comment cette vision nouvelle a bouleversé nos conceptions du corps et du vieillissement, a conduit à réinterpréter les causes de la plupart des maladies, et ouvert des perspectives nouvelles pour leur traitement.  

Car le splendide royaume de l'apoptose, qui permet à chaque instant à nos corps de se modeler, de se reconstruire et de s'adapter à leur environnement, comporte aussi sa face sombre — celle-là même par laquelle l'auteur, médecin et immunologiste, aborda ce fascinant phénomène. "C'est au détour de mes recherches sur les maladies que je suis entré un jour, soudain, dans l'aventure du suicide cellulaire", écrit-il. C'est le début des années 90, son père vient d'apprendre qu'il est atteint d'une maladie incurable. Un cancer, dont la gravité provient précisément de la prolifération de cellules ayant échappé à l'apoptose...           

Pour comprendre, Jean Claude Ameisen se plonge dans les articles publiés sur le sujet, qu'il s'était jusqu'alors contenté d'empiler sur un coin de bureau. "Décrivant le rôle de la mort cellulaire au cours du développement de l'embryon, montrant comment la mort, comme le ciseau d'un sculpteur, fait émerger la forme et la beauté de la matière (...), ils révélaient une face cachée, lumineuse, nécessaire, de la mort, si lointaine de celle, absurde et brutale, qui emportait un homme. Petit à petit, au bout de quelques jours, je pus regarder la mort en face. Et commencer à parler à mon père", raconte-t-il dans les pages les plus émouvantes de son livre. Lui qui mène alors des recherches sur les dérèglements biologiques provoqués par le sida découvre, soudain, une réponse à ses interrogations. Un an plus tard, ses travaux et ceux d'autres équipes viennent confirmer son hypothèse: il existe bien une relation entre le sida et le déclenchement du suicide dans les cellules immunitaires. Comment une cellule sait-elle qu'il est temps pour elle de s'éclipser? Pour quelle raison, parfois, ne fait-elle pas le bon choix, provoquant la maladie par sa mort trop rapide ou trop lente ? Quels sont les gènes qui participent à cet acte, quand et comment sont-ils apparus au cours de l'évolution? En moins de dix ans, les fouilles menées par les biologistes ont été si fructueuses qu'elles ont fait de l'apoptose un terrain de recherche à part entière. Avec ses espoirs — disposer, bientôt, de nouveaux outils thérapeutiques —, avec ses hypothèses et ses déconvenues. Avec, aussi, l'inévitable connotation anthropomorphique et philosophique que prennent des termes et des concepts tels que "suicide" ou "mort programmée", qui ne pouvaient pas être émotionnellement neutres.     

Territoire étrange sur lequel il peut être dangereux de s'aventurer, l'apoptose n'est décidément pas un thème de recherche comme les autres. Jean Claude Ameisen semble ne jamais l'oublier, qui émaille ce passionnant ouvrage, avec une grande justesse, de références littéraires. "Dans certains textes de la mythologie grecque, la décision de vivre ou de mourir ne résulte pas d'une plongée dans un abîme philosophique ou mystique, mais d'une succession d'étapes, d'une cascade de signaux et de réponses à ces signaux, où interviennent la séduction, l'intelligence et la ruse", écrit-il, en démontrant comment se dessinent, dans deux légendes vieilles de près de 3 000 ans — l'Odyssée et le récit de l'expédition des Argonautes —, certaines des composantes essentielles du suicide cellulaire. Une métaphore troublante, qui souligne, mieux qu'un long discours, comment la science peut entrer en résonance avec nos interrogations les plus intimes et les plus anciennes.

Catherine Vincent

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Télérama n° 2594, 02/10/1999, Sciences

"Vivre, pour chaque cellule qui compose notre corps, c'est à chaque instant avoir réussi à réprimer le déclenchement de son suicide [...]. Au cœur de chaque cellule, la mort est enfouie, tapie, prête à bondir." C'est ainsi que Jean-Claude Ameisen définit cette "mort créatrice" qui, selon lui, nous construit. Depuis quelque temps, déjà, on parlait de mort naturelle programmée : sans accident, sans maladie, sans modes de vie "usants", les fonctions du corps humain s'éteignent d'elles-mêmes au bout d'environ cent-vingt ans... Mais la thèse de Jean-Claude Ameisen va plus loin : la mort est le principe même du vivant. C'est parce que des centaines de milliers de cellules meurent que la vie s'élabore et cela dès le stade embryonnaire. Alors même que le corps grandit, des pans entiers de son être disparaissent. Mieux : ces disparitions massives constituent la condition même de la complexité de notre organisme. C'est le cas, par exemple, de l'apparition des doigts : notre main naît d'abord sous la forme d'une moufle contenant cinq branches de cartilage, qui vont progressivement constituer les doigts séparés grâce à l'élimination des cellules qui les reliaient. La mort sculpte le vivant. Cela suffira-t-il pour nous réconcilier avec elle?

 

Ariane Poulantzas

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Présentation du livre sur le site de la Librairie Dialogues, par Charles Kermarec:

Ce n’est pas seulement à une vulgarisation scientifique de très haut niveau que nous convoque ce livre. C’est aussi une invitation à un voyage poétique et à une quête philosophique de nous-mêmes que nous propose Jean Claude Ameisen, médecin, chercheur, homme de culture.

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Interview de Charles Kermarec, directeur de la Librairie Dialogues, par Ruth Valentini
Le Nouvel Observateur, Semaine du 28 Octobre 1999, N°1825. LES UNS LES AUTRES

Ce vice impuni, la lecture

L'adresse préférée des Brestois amoureux des livres ? La librairie Dialogues, un «lieu de perdition et de plaisir» à la devanture transparente, comme l'immense coupole qui coiffe la maison à l'enseigne « jaune ciré », la fameuse couleur locale. D'emblée, le visiteur est séduit par un vaste espace lumineux sur deux niveaux, meublé d'un nombre impressionnant de canapés bleus. Tout invite à se caler au milieu des livres, à choisir le sien et, pourquoi pas, à le dévorer sur place. Maître des lieux, Charles Kermarec (51 ans) résume son succès par trois mots : compétence, accueil, confort des lieux, auxquels il convient d'ajouter les relations amicales qu'il entretient avec sa soixantaine d'employés. Dont 17 libraires passionnés et responsables. L'alchimie entre libraire, lecteur et le livre est telle que Dialogues se hisse parmi les cinq premières librairies de province. « On ne tient pas dans ce métier si on n'aime pas les bouquins », insiste Charles Kermarec. Issu d'une famille de paysans de Saint-Renan, c'est parce qu'il s'ennuyait dans un cabinet d'avocats qu'il s'est associé avec sa soeur, en 1976. Vingt-trois ans plus tard, la «librairie de quartier» est devenue une institution qui fait un chiffre d'affaires de 65 millions de francs et dont les bénéfices sont réinvestis dans la publicité et reversés en partie sous forme de primes d'intéressement aux employés. La clientèle «des amis!» est évaluée à 90 000 personnes dont la moitié a moins de 25 ans. Présent «du matin au soir, tous les jours de la semaine», Charles Kermarec se prive de sommeil pour lire dès l'aube. Ses dernières découvertes ? «J'aime l'univers de Philippe S. Hadengue, chez Pauvert. Il distille ses mots au milligramme près, à la manière d'un pharmacien. Et "La Sculpture du vivant" de Jean-Claude Ameisen au Seuil, un livre de science philosophique et poétique.» Ces livres ont droit au bandeau maison désignant le choix Dialogues, autre atout de la librairie pour guider le client. Charles Kermarec ne craint rien ni personne, surtout pas l'installation de la Fnac qui «tôt ou tard viendra aussi à Brest». Pour lui, «le plaisir de lire est irremplaçable. Internet n'y peut rien. Il est tout de même plus confortable de découvrir un livre bien calé dans un fauteuil que sur un écran d'ordinateur, en clignant les yeux».

Ruth Valentini

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Etudes, novembre 1999

Toute cellule, qu'elle soit d'origine bactérienne ou humaine, renferme dans ses gènes un mécanisme qui peut la tuer et un autre qui s'oppose au déclenchement du précédent, jusqu'à ce que la cellule reçoive de son environnement des signaux qui la condamnent. Tout au long de son existence, la mort cellulaire "sculpte" le corps des vivants. Celui-ci est le siège d'un combat féroce entre cellules: les unes en meurent, d'autres les remplacent. Cette notion de "suicide cellulaire" est récente. Elle permet d'envisager la biologie sous un jour nouveau, qu'il s'agisse du développement de l'embryon, des maladies, du vieillissement...            
L'auteur est un spécialiste de cette question. Avec un talent pédagogique remarquable, grâce à des comparaisons, des analogies, des images, il sait mettre à la portée du profane les découvertes récentes en ce domaine, sans employer le vocabulaire technique de la génétique ou de la biochimie (ce que peut regretter le lecteur initié).          
Un livre remarquable, qui donne à réfléchir, au delà du domaine purement scientifique, sur la vie et sur la mort.

Jean-Marie Moretti

 

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Le Nouvel Observateur, 11/11/1999, n° 1827, p. 137, LECTURES POUR TOUS, BIOLOGIE

Un mystère au cœur de notre être. Chacune de nos cellules recèle un univers. L'auteur — médecin et chercheur — nous y promène comme dans une galaxie : triomphe du matérialisme scientifique? Pas du tout! C'est au contraire dans une vertigineuse réflexion philosophique que nous entraîne ce livre d'une savante limpidité. Optimiste aussi lorsqu'il démythifie nos fantasmes sur la maladie, le vieillissement, la mort. Bref, une saine vulgarisation sur l'essence même de la vie, assortie d'une belle écriture.

Gérard Badou

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 Tageblatt, 19/11/1999 (Luxembourg), SCIENCE

L'étrange destin de la cellule
Media vita in morte sumus

La mort ne serait-elle que la suite de la vie par d'autres moyen? Jean Claude Ameisen nous donne un brillant aperçu des éléments de réponse que la biologie moléculaire tente d'apporter à la seule question qui, en définitive, nous passionne vraiment.

Quelques semaines après sa conception, l'embryon humain développe des doigts au bout de ses extrémités. On pourrait imaginer que ces doigts pousseraient comme des cornes d'escargot au bout d'un moignon qui constituerait la paume. Or il n'en est rien. En y regardant de près, on constate en effet que c'est le tissu originairement situé entre les doigts qui se décompose de manière extrêmement ordonnée jusqu'à former la main telle que nous la possédons. Tel un Michel Ange qui façonne les mains de David en enlevant le marbre qui se trouvait autour, c'est la mort qui sculpte la figure humaine dans un bloc de cellules.

Mais de quelle mort meurent ces cellules surnuméraires? Loin des catastrophes qui accompagnent la destruction accidentelle de cellules et mènent à des cicatrisations plus ou moins réussies, la sculpture du vivant procède d'un mécanisme sophistiqué, rodé dans ses moindres détails.

L'apoptose d'une cellule, du terme en grec ancien qui désigne la chute des feuilles en automne, s'apparente à la liquidation d'une petite industrie en bonne et due forme, sans traumatismes et avec reprise des stocks par les cellules environnantes. Peu de temps après sa dissolution, plus rien ne rappelle l'existence de la cellule.

Longtemps on a cru que l'apoptose était une sorte de meurtre, un empoisonnement suivi d'une cannibalisation d'une cellule par ses voisines. Or il n'en est rien. L'apoptose n'est pas un fait divers cellulaire, c'est la lecture, en réponse aux signaux reçus de l'environnement, d'une partie enfouie du code génétique de la cellule qui entraîne la cessation de son activité et son démantèlement. C'est donc un suicide préparé de longue date et calmement mis en œuvre.

N'est-ce pas à donner le vertige? Les molécules d'acide désoxyribonucléique ne contiennent donc pas que le secret de la vie, mais aussi celui de la mort. Au milieu de la vie nous sommes entourés par la mort...

Dans chacune des presque cent mille milliards de cellules de notre corps d'adulte se déroulent en permanence et simultanément un nombre mirobolant de réactions biochimiques dont la complexité dépasse encore de loin — et peut-être pour toujours — notre entendement. Des armées mexicaines de protéines fabriquées selon les instructions contenues dans nos chromosomes conjuguent ou opposent leurs efforts pour faire tourner le métabolisme cellulaire. L'apoptose et sa répression — mais aussi de nombreux autres processus, comme par exemple la fécondité d'une cellule — procèdent par jeu de poupées russes: les protéines qui jouent le rôle d'exécuteurs sont tenues en échec par des protéines protectrices qui sont contrebalancées par d'autres exécuteurs qui sont réprimés par des protecteurs supplémentaires dans une suite dont on ne connaît ni les ultimes tenants et aboutissants ni le déroulement exact. Quatre milliards d'années d'évolution nous ont légué en héritage des mécanismes aux équilibres complexes — où participent des acteurs jouant sur plusieurs tableaux et des agents doubles — capables d'engager à chaque instant un processus de déconstruction irréversible de la cellule menant à sa mort.

L'apoptose est-elle le prix que la vie a dû payer pour la différenciation des cellules, donc de leur spécialisation qui permet l'évolution d'organismes multicellulaires? Ou est-ce que la mort programmée est enfouie encore plus profondément dans le code même du plus humble des microbes unicellulaires?          
Le suicide cellulaire est-il le frère jumeau de la fécondité d'une cellule? Comment expliquer le rôle ambigu que certaines protéines jouent aussi bien dans le dédoublement que dans l'apoptose, cette forme ultime de stérilité?

La mort "avant l'heure" de nos cellules est-elle nécessaire à notre survie, par exemple en éliminant prématurément des foyers de cancers? Ou peut-on imaginer de la retarder dans certains cas, empêchant par là même l'apparition de maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer?    
La dernière décennie a vu l'explosion des efforts consacrés à ce qui, après avoir été longtemps un phénomène marginal de la biologie, semble peu à peu devenir la clef des questions les plus intimes du monde vivant. En la personne de Jean Claude Ameisen, professeur d'immunologie à Paris VII et chercheur de grande renommée, l'apoptose vient de trouver un chroniste hors pair.

Certains stéréotypes ont la vie dure. Ainsi le regard du scientifique sur les choses de la nature a la réputation d'être froid et hautain, imbibé de raison et impassible aux raisons du cœur. Quelle erreur!     
La sculpture du vivant se lit comme un bon polar: d'une traite. Bien sûr le sujet s'y prête: le secret de la vie et de la mort, ne fût-ce que d'une cellule, ne peut pas laisser indifférent. Mais ce n'est pas tout. Dès les premières pages, Jean Claude Ameisen trouve une justesse de ton, mêlant compétence et émotion, qui est somme toute rare dans la littérature de divulgation scientifique. Les images dont il se sert pour court-circuiter le jargon des initiés et résumer des états de fait d'une complexité souvent prodigieuse sont parmi les plus judicieuses, et sa langue réussit à nous toucher dans notre for intérieur, sans excès de rhétorique et sans jamais renoncer à cette rigueur qui est la politesse des savants.

A travers quatre grands chapitres, l'auteur nous mène des mystères du développement de l'embryon, en passant par une remontée aux origines historiques de la vie, aux énigmes du vieillissement. Comme il se doit pour un domaine en pleine évolution, le nombre des questions dépasse de loin le nombre des réponses, mais le lecteur a en revanche le privilège de suivre les chercheurs au milieu du gué pour tenter de rejoindre la rive opposée, encore lointaine et incertaine, celle de la connaissance.

Au détour de certaines pages, le lecteur qui laissera libre cours à ses pensées ne pourra éviter de réfléchir à sa propre vie et à sa propre mort. Malgré, ou plutôt à cause de cela, "la sculpture du vivant" est un grand livre de divulgation scientifique, et en ce qui me concerne, le meilleur qu'il me soit arrivé de lire ces derniers temps.

Andrea Sarti

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24 heures, 15/12/1999 (Lausanne, Suisse), LIRE

La science comme un roman

La biologie cellulaire demeure largement incomprise du grand public. Cela tient aussi bien à la complexité du sujet qu'aux progrès constants et rapides de la science médicale. Or, même si l'on est passionné, la tentation de décrocher aux premières pages d'un livre traitant ce sujet, comme le risque de comprendre imparfaitement ce que l'on lit, surtout dans les ouvrages qui se veulent simples, est omniprésent. Jean Claude Ameisen, professeur d'immunologie, et chercheur, a réalisé un vrai chef d'œuvre en rédigeant un texte qui se lit (presque) comme un roman. Or il s'agit de comprendre rien moins que les interactions qui existent entre les milliards de cellules qui nous composent, la manière dont elles nous sculptent, à partir de la fécondation de l'ovule, grâce à la mort programmée des cellules dépendant de signaux complexes. Un texte qui nous permet, je crois, d'acquérir des connaissances solides car bien digérées.           
Alors que l'on reconnaît la nécessité croissante d'établir de nouveaux ponts entre scientifiques et société, ce volume peut donc être considéré comme une source d'informations exhaustives et un exemple à peu près incontournable de ce qu'il faut faire pour les mettre à la portée d'un large public.

Guido Olivieri

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Réflexion faite. L'essentiel de la pensée au service du management n°37, janvier 2000,
et sur le site de Business Digest

Le commentaire de " La sculpture du vivant" vous est proposé par Jacques Lefèvre, ingénieur INSA et Docteur ès Sciences, Jacques Lefèvre est un ancien dirigeant de Business Units du groupe Philipps. Passionné de management, plaçant l’homme au cœur de l’organisation, il aime à rappeler cette formule gravée sur le fronton du temple de Delphes : "Je sais que je ne sais pas".

Les Idées Clés

Chacune de nos cellules à la possibilité de se suicider.    
Cette faculté est héritée d'un lointain passé où les cellules luttaient contre les plasmides. Si l'évolution a conservé le suicide cellulaire, c'est qu'il est source de vitalité.

Le suicide cellulaire est constructif.           
Il permet à l'embryon de se développer. Il assure l'éducation de notre système immunitaire. Il intervient pour réguler les populations cellulaires. D'une manière générale c'est un moyen de contrôle de la société cellulaire sur les individus qui la composent.

L’auto-destruction cellulaire est à la fois vecteur de complexité, donc du vivant, tout en étant responsable de nombreuses maladies.         
On ne connaît pas encore le nombre de maladies causées par la mort cellulaire mais nous savons que la majorité des agents pathogènes perturbent les signaux de contrôle exercé par la société cellulaire sur ses membres.

Le commentaire

Lorsque l’on referme le livre, l’émerveillement du vivant se combine avec la satisfaction d’avoir rencontré un homme. En effet derrière le scientifique c’est aussi le vécu de Jean-Claude Ameisen et ses dimensions philosophiques et spirituelles qui apparaissent. Dans une grande profondeur, humilité, prudence, générosité, il nous fait partager ses interrogations fondamentales. Non seulement dégage-t-il une "grille de lecture" du vivant, mais aussi suggère-t-il que les sciences du vivant peuvent apporter une contribution à nos sociétés : celle de stimuler le questionnement et la réflexion éthiques, avec la pleine conscience des ouvertures comme des limites propres aux analogies et aux métaphores.

Ce voyage sur 4 milliards d’années nous fait comprendre comment les formes complexes (autrement dit le vivant) émergent progressivement du simple (une bactérie unicellulaire). Oui nous sommes "sculptés". C’est la mort intelligente qui crée les formes dont la plus élaborée, celle de l’homme.

Un angle de lecture peut donc être le questionnement suivant : l’entreprise et ses hommes ne seraient-ils pas des vivants à la fois "sculpteurs" et "sculptés" ? Par exemple : "Nous ne pouvons nous continuer et nous pérenniser en tant qu’individu, que parce que nos cellules deviennent autres. De la diversité naît la complémentarité ; de la complémentarité, l’interdépendance et de l’interdépendance, la complexité". Similitude avec l’entreprise ? Oui, car sa pérennité est assurée par la reconnaissance de l’altérité et la qualité de l’interdépendance des hommes. Des cellules savent le faire !

"La société cellulaire est devenue l’architecte de sa propre construction" : chacun des membres avec ses propriétés propres, mais en sachant interagir avec les autres crée le nouveau. Dans l’entreprise, les compétences sont partout, et en particulier à la base. Comment les laisser naturellement émerger pour construire le nouveau, l’innovation ? Le vivant peut nous éclairer : savoir faire confiance aux autres, les laisser révéler leurs talents, agir ensemble. Car tout au long du livre je me suis posé la question : mais où est le chef ? Est-ce la présence dans chaque cellule, dans son noyau, de toute l’information, mais utilisé par chaque espèce de cellule différemment ? Serait-il partout ? Et si ça marchait dans l’entreprise? Voilà un bel axe de réflexion pour questionner sa vision des fonctionnements fondamentaux de l’entreprise, en particulier en ce qui concerne le pouvoir et l’information.

Si l’interdépendance apparaît comme un élément de la grille, le paradoxe se dégage comme fondamental. Une cellule doit posséder en elle un "exécuteur" et un "protecteur", celui qui est fait pour la "suicider", et celui qui l’en empêche. C’est le jeu de ces 2 opposés qui va permettre de créer le nouveau. Pour cela il faut une "asymétrie". Selon sa nature c’est l’exécuteur ou le protecteur qui va l’emporter. Et l’on découvre que les 2 sont nécessaires. Et même, dans certaines conditions le fait de posséder l’exécuteur, la toxine, va créer la vie. Le vivant se sculpte en permanence grâce au paradoxe. Et dans la vie, l’entreprise, le paradoxe est un moteur essentiel. Il permet sans cesse de rebondir. Par exemple il est présent dans la décision, qui contient toujours des aspects favorables et défavorables. Comment mieux le comprendre pour agir avec plus d’efficacité et de rapidité ? Comment vivre heureux, en pleine conscience, dans le paradoxe ? Peut-être en regardant nos cellules en jouer, et en comprenant que sans lui, en nos cellules, nous n’existerions pas. Le rôle créateur du paradoxe peut devenir plus clair.

L’asymétrie, décrite par Ameisen, c’est aussi un rôle majeur du dirigeant. L’entraîneur qui sait rendre présentes à l’ensemble des hommes de l’entreprise les conditions du déséquilibre, puis les maintenir en permanence afin de permettre à tous, en relation , de faire émerger sans cesse des "formes", non prévues, nouvelles : visions, processus, façons de travailler ensemble pour créer plus et mieux.

Pour conclure, cette lecture est une très belle occasion de réfléchir sur le "mécanique" et le "vivant" dans l’entreprise, sur leurs logiques différentes. En particulier celle du vivant est de naître et mourir sans cesse, en se transformant. Un minimum de structures, conçues pour permettre aux hommes et à l’entreprise d’être vraiment vivants. Cela veut dire changer en permanence, savoir grandir sans cesse et saisir les opportunités de se développer, aimer et tirer profit de la différence, de l’imprévu.

Jacques Lefèvre

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Le Matin (Lausanne, Suisse), 2 janvier 2000

"Nous sommes un paysage pointilliste composé de minuscules êtres vivants", écrit Ameisen [*]. En effet, nos cellules naissent, se dupliquent et meurent dans un jeu d'échanges et de métamorphoses permanent orchestré par nos gènes. De symbiose en rejet, de combat en dialogue s'articule le ballet de la vie et de la mort cellulaire.           
C'est avec le regard du biologiste, l'esprit du philosophe et le langage du poète que Jean Claude Ameisen, médecin, chercheur et professeur d'immunologie, présente la théorie de la mort créatrice et sculptrice du vivant. Il y a une mort, un vieillissement, une longévité cellulaires voulus par les gènes; un suicide cellulaire créateur qui organise le vivant dans le champ de l'évolution. Quand la mort est le refus de l'élan vital de se laisser juguler par la matière et que l'immortalité s'appelle cancer.

F.D.

 [*] ... citant Lynn Margulis. [note de JC Ameisen]


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Certitudes (CH 2022 Bevaix, Suisse) Nov/Déc 2000, p. 33-34

La mort créatrice

Le suicide cellulaire ou la mort créatrice : Voilà un sous-titre troublant à forte connotation émotionnelle et philosophique, mais c'est bien de biologie qu'il est question dans le fascinant ouvrage du professeur Ameisen.[1] Même s'il s'aventure parfois dans les champs de la connaissance transmise par les cultures et religions traditionnelles, notamment grecque et biblique. Il est toujours aléatoire de distinguer l'homme de sa fonction scientifique. L'un des rares endroits où l'auteur s'épanche concerne la partie sur le vieillissement, partie introduite par des considérations sur son enfance de survivant, et par le récit de la mort de son grand-père. Décédé sous les yeux de l'enfant qui, quarante ans plus tard, n'a toujours pas accepté. "Mais, écrit-il avec sagesse, depuis longtemps, l'essentiel n'était plus d'accepter ou de refuser. Mais d'essayer de comprendre."

"VIVRE UN CONTINUEL MOURIR"[2]       
Essayons donc de comprendre avec lui pourquoi vie et mort s'entrelacent en un ballet sans cesse reconstitué, à coups de "je t'aime moi non plus", au point qu'à lire l'exposé du biologiste sur la manière dont le vivant s'est façonné — au rythme d'une mort "créatrice" — on en vienne ainsi comme à apprivoiser celle-ci, tout au moins à la reconnaître moins dangereuse. La Dame à la faux a plutôt les airs d'une sœur, jumelle de la vie. C'est en tout cas les leçons d'une science toute récente, celle qui a trait au "suicide cellulaire".

Jean Claude Ameisen reconnaît volontiers que l'utilisation de la notion de suicide n'est pas neutre et qu'elle prête à discussion, puisqu'on confond dans "un même concept l'acte de se tuer soi-même et la décision d'accomplir cet acte." Or, une cellule ne se suicide pas d'elle-même, mais parce qu'on lui en a donné l'ordre, par le moyen de signaux qui lui sont extérieurs. On apprend ainsi que nous sommes des vivants en sursis, des survivants permanents. "La survie de l'ensemble des cellules qui nous composentnotre propre surviedépend de leur capacité à trouver dans l'environnement de notre corps les signaux qui leur permettent de réprimer, jour après jour, le déclenchement de leur suicide".

Ce n'est pas l'immortalité qui semble inscrite dans nos gènes, mais plutôt cette mort dont parle le récit biblique de la création. Est-elle vraiment une malédiction, dans la mesure où la viabilité d'un embryon n'est envisageable "qu'à la condition de faire perdre rapidement à chacune des cellules qui le composent le pouvoir de donner naissance, à elle seule, à un nouvel embryon." Autrement dit, la mort sert la vie, elle en est la garante dès les origines du vivant. "L'embryon se dévore à mesure qu'il se construit, se nourrissant d'une partie des cellules qu'il fait naître et que le chant des signaux qui parcourent son corps a condamné à disparaître."[3] Nous avons besoin de la mort pour survivre, survivre à nous-mêmes, car "nous ne pouvons nous construire, et nous pérenniser, en tant qu'individus, que parce que nos cellules deviennent autres." "Je est un autre" disait déjà le poète qu'Ameisen cite en exergue à un paragraphe intitulé "La mort cellulaire et la sculpture de l'altérité".[4] Il aurait pu rappeler la fameuse parole du Christ: "Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit."[5]

Ainsi, "aucune cellule n'est immortelle", affirme le biologiste, mais "le jeu de la vie avec la mort 'avant l'heure' conduit au sacrifice d'un corps au profit de la construction d'un autre, plus jeune et plus résistant." Le scientifique n'hésite pas alors à confronter ses données du terrain avec une réflexion autour du récit d'Adam et Eve qu'il relit à sa manière. Pour lui, l'immortalité, ou plus exactement "l'a-mortalité", a dû être de l'ordre de la potentialité, "puis un jour la mort s'est inscrite au cœur de l'univers vivant." Encore une fois, non pas tant comme une malédiction que comme "le prix à payer" afin que les cellules accèdent à "la complexité des corps".[6]

Soumettant le texte biblique à sa recherche de laboratoire, Ameisen en conclut: "Il semble qu'Adam et Eve n'étaient pasn'aient jamais étéimmortels. La punition de l'Éternel ne consiste pas à leur retirer l'immortalité : il ne la leur avait sans doute jamais donnée..." L'Arbre de vie jouait, selon l'auteur, un rôle de protecteur, à l'image de ces gènes protecteurs dont sont pourvus nos organismes et dont la présence "permet d'empêcher le déclenchement du vieillissement des corps, de leur stérilité et de leur mort 'avant l'heure'." Et c'est ainsi que passant d'une analyse technique et scientifique à des considérations purement philosophiques, voire théologiques, le chercheur s'aventure à émettre une hypothèse sur le ton de la sentence, oubliant sa prudence habituelle: "Au début n'était pas l'immortalité. Au début était la mort 'avant l'heure'. La chute, la faute, n'ont pas entraîné la 'naissance' de la mortalité, mais sa 'révélation', par défaut." Si cela n'est pas du concordisme! Reste à savoir si cette hypothèse est satisfaisante...

RÉPRESSION PERPÉTUELLE DU SUICIDE         
On comprend mieux maintenant le jeu complexe qui se joue entre la vie et la mort dans le domaine de la biologie. Un jeu avec le feu dans la mesure où, la potentialité de la mort ou le pouvoir d'autodestruction étant intégrés en chacune de nos cellules, celles ci n'ont de cesse de réprimer, en fonction de signaux extérieurs positifs, l'appel au suicide, la mort "avant l'heure". "La vie résulte de la répression du suicide, de la négation d'une négation."        
La sculpture du vivant est un livre passionnant, le phénomène de la mort cellulaire prévu pour notre survie demeure un mystère que les chercheurs eux-mêmes n'ont pas fini d'élucider ou d'explorer. C'est la pointe de l'iceberg qu'il nous est ici donné de contempler, une invitation à aller plus en profondeur.           
La biologie est par définition science de la vie (Bios), comment ne susciterait-elle pas des questionnements sur le sens de la vie avec un grand V ? Et sur le sens de la mort que nos sociétés, dit-on, occultent. Jean Claude Ameisen nous la fait découvrir "créatrice". Certains théologiens, ou tout simplement le commun des mortels, la trouvent plutôt scandaleuse. Toujours est-il que le biologiste a remis au goût du jour une loi élémentaire de la vie, qui s'applique également au domaine spirituel: Naissance et renaissance passent par un mécanisme de mise à mort. Les saisons nous disent ce cycle de la mort et de la vie, ce chemin de la mort à la résurrection telle que l'a vécu le Christ.

DOUCE MORT ?      
"Le pouvoir de se reconstruire est lié au pouvoir de s'autodétruire", écrit sur la fin le professeur Ameisen. Reste que ce pouvoir et ce mécanisme de mort cellulaire salutaire, que l'on a peut-être malencontreusement lié à la notion de suicide, suscitent des interrogations éthiques et religieuses, notamment en rapport avec cette autre notion qu'est la liberté.       
Sans avoir toujours évité, à notre avis, les pièges de la sociobiologie contre lesquels il met lui-même en garde, Ameisen aura au moins permis de "penser le sens de la mort", comme l'écrit Emmanuel Levinas qu'il cite en tête de conclusion.[7] Mais l'auteur de La sculpture du vivant aurait-il abusivement contribué à rendre cette mort cellulaire, celle de nos vies, inoffensive et justifiée ?

Farid Djilani-Sergy

[1] La sculpture du vivant, collection "Science ouverte", Seuil, 1999. Jean Claude Ameisen est médecin et chercheur à l'INSERM, l'un des meilleurs spécialistes de la "mort cellulaire programmée". [2] "Couplets de l'âme", Jean de la Croix. [3] Ailleurs, Ameisen est plus explicite sur nos habitudes anthropophages: "Nous nous nourrissons en permanence d'une partie de nous-mêmes." [4] On peut citer encore Ameisen: "Le sentiment que nous avons de la pérennité de notre corps correspond pour une grande part à une illusion. Nous sommes une mosaïque d'organes et de tissus dont certains s'autodétruisent et se renouvellent en permanence pendant que d'autres persistent en nous..."! [5] Jean 12: 24. [6] "Chaque jour, probablement, plus de cent milliards de nos cellules s'autodétruisent - plusieurs millions par seconde." [7] La mort et le temps.

Des avancées thérapeutiques en perspective        
Les découvertes sur la mort cellulaire ont permis de mieux comprendre certaines maladies, tels que le cancer ou le sida. Celles-ci s'expliquent en partie par une perturbation des mécanismes gérant le " suicide cellulaire ". Le cancer fait partie de ce que Ameisen appelle les maladies de la fécondité cellulaire. Le sida que le professeur connaît bien pour avoir travaillé dans ce domaine de recherche, ou encore la maladie d'Alzheimer ou celle de Parkinson provoquent au contraire " des phénomènes de mort cellulaire massifs ", qu'il s'agisse de neurones du cerveau ou des lymphocytes T du système immunitaire. Les enjeux de la recherche autour de ce que les spécialistes appellent l'apoptose, ce phénomène naturel de mort cellulaire programmée (à distinguer de la nécrose qui suppose des lésions), sont évidemment prometteurs, non seulement pour le traitement des maladies que nous venons de citer, mais encore dans la lutte contre le vieillissement et pour sa compréhension. Cela dit, il ne faudrait pas se faire trop d'illusions, car le médecin nous prévient: " Ce que nous appelons la guérison n'est le plus souvent qu'une demi-victoire, un compromis: notre système immunitaire a réussi à confiner le virus, la bactérie ou le parasite à certains territoires du corps et à l'empêcher de trop s'y reproduire et de s'en échapper. " F. D.

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Certitudes (CH 2022 Bevaix, Suisse) Nov/Déc 2000, p. 5-6

Doit-on faire œuvre d’«oubliance» ?

«L’oubli est aussi nécessaire à l’homme que la mémoire. Du reste, cette dernière ne se forge pas sans oubli. » Étonnante déclaration, sur laquelle il vaut la peine de s’arrêter, comme l’a fait Farid Djilani-Sergy.

 

C’est que la capacité de mémorisation ne se limite pas, comme on le croyait dans l’Antiquité, à emmagasiner sans autre des souvenirs réunis en un lieu précis du cerveau. À cet égard, nous ne fonctionnons pas comme un ordinateur qui stocke telles quelles les données que nous lui avons fait ingérer et qui peut nous les fournir à nouveau sans que celles-ci aient été d’aucune manière altérées. Le travail de la mémoire s’effectue dans le cadre d’une histoire personnelle en constante évolution, le présent agissant autant sur le passé qu’inversement puisque celui-ci est sans cesse reformulé en fonction de notre contexte de vie et du sens que nous souhaitons lui imposer.

Il n’est pas de souvenir qui ne soit pas «entaché d’imprécision, d’effacement, de lacune, c’est-à-dire de formes d’oubli». C’est ce qu’en déduisent très logiquement un littéraire et un scientifique — les Tadié — qui se sont penchés sur la question.1 Mémoriser, c’est donc se souvenir de certaines choses, mais en laisser d’autres. Il y a un choix, délibéré ou non, qui est opéré entre ce qui va être imprimé et ce qui passera à côté ou qui ne restera que de manière transitoire, faute d’avoir été réactivé.

La mémoire est comparable à une ville, nous expliquent les Tadié, avec ses quartiers anciens toujours visités, ou au contraire en partie abandonnés, et sa partie moderne en perpétuelle rénovation.

Cette comparaison imagée s’appuie sur des données récentes. «La plupart des spécialistes de la mémoire s’accordent aujourd’hui pour reconnaître qu’elle n’est pas un réservoir de souvenirs, et la considèrent comme une fonction dynamique en mutation permanente.»2 Et c’est bien normal puisque nous restons à la fois nous-mêmes tout en changeant au fil des années !

 

UNE CONSTANTE RECOMPOSITION

À l’occasion d’un développement explicatif sur le fonctionnement de notre système immunitaire, un biologiste 3, spécialiste de la mort cellulaire, exprime à sa manière ce lien indéfectible et nécessaire entre identité et mémoire : «Il n’y a pas d’identité s’il n’y a pas en nous une trace, une empreinte, de notre passé qui permette de comparer ce que nous sommes devenus à ce que nous avons été. Il n’y pas d’identité sans mémoire. Discriminer entre ce qui est soi et non-soi [ce qui constitue précisément la mission du système immunitaire], et se forger une mémoire, constituent à des degrés divers, des propriétés ancestrales et fondamentales des êtres vivants.»

Nous sommes ce que nous avons été, mais pas seulement puisque dans le temps présent nous préparons et devenons ce que nous serons. À nos trois temps arbitrairement décomposés, l’hébreu préfère les deux temps de l’accompli et de l’inaccompli. L’homme de la Bible, qu’il soit Adam, prophète, roi ou du peuple, est un homme en marche vers une maturité promise, avec pour ordre de mission de ne pas oublier son Dieu tutélaire. Il est conjointement invité à se décharger de ses péchés auprès de l’Éternel sauveur. Il s’agit, d’une certaine manière, de faire acte d’oubli, non par négligence ni par déni ou refoulement, mais bien parce que l’on est appelé, selon la belle formulation de l’apôtre Paul, à s’élancer vers «le but», «oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant ».4

Certes, Dieu appelle son peuple à se souvenir. Que l’on se réfère notamment aux chapitres 8 et 9 du livre du Deutéronome où, par trois fois, les Hébreux sont exhortés à faire mémoire des hauts faits de leur Libérateur divin. Mais il leur est également spécifié par trois fois 5 — et lorsqu’ils seront entrés en terre promise — de ne pas oublier leurs fautes ou leur fragilité, ni ce Dieu qui les a délivrés et accompagnés.6 Ce Dieu à qui il est réciproquement demandé, dans ce même passage, de se souvenir de ses serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob.7

 

SOUVENIR ET OUBLI EN BALANCE

Et effectivement Dieu lui-même se souvient. De ses serviteurs, mais aussi des fautes d’un peuple au cou raide ou d’un roi infidèle. Le livre du prophète Osée nous le rappelle : «Et ils ne se disent point dans leur coeur que tout ce qu’ils font de mal je le garde en mémoire.» Ou: «Dieu se souviendra de leur crime, il fera le compte de leurs péchés.»8 Ce souvenir divin a pour préoccupation majeure de faire oeuvre de justice. «Lui qui recherche le meurtrier, il se souvient, il n’oublie pas le cri du malheureux.»9 Mais ce Dieu qui se souvient et qui appelle à faire mémoire, sait de la même manière oublier. Pour l’amour de son nom, comme il est écrit, et par miséricorde pour ses créatures. «Moi, cependant, moi je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire.»10 Ou encore l’auteur de la lettre aux Hébreux citant le livre du prophète Jérémie:«Je serai indulgent pour leurs fautes, et de leurs péchés, je ne me souviendrai plus.»11

On voit donc qu’aussi bien sur le plan existentiel que spirituel l’homme a autant besoin de faire mémoire que d’oublier. Et si l’on peut dire que «être vivant, c’est être fait de mémoire»12, c’est aussi immanquablement être capable d’un sain oubli. On a l’habitude légitime de distinguer le pardon et l’oubli, mais il est des souvenirs entretenus qui ont valeur de rancune, ils pourrissent la vie, on devrait pouvoir s’en débarrasser. Elie Wiesel, comme beaucoup d’autres rescapés des camps de la mort, ne veut pas tourner la page, et on le comprend: «Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même.»13  Il paraît ne pas vouloir être consolé, comme Rachel pleurant ses enfants. 14 Or, Dieu a promis: «Il existe, l’espoir de ton avenir.» 15

Il n’y a pas d’avenir sans mémoire, il se bâtit sur le socle du passé, mais c’est toujours bien dans l’instant présent que tout se joue. Loin d’être des «entendeurs oublieux», 16 il faudrait apprendre, au jour le jour, à garder en mémoire ce qui nous est nécessaire, ou à retenir ce qui est bon, comme dit encore l’apôtre 17, et à oublier tout ce qui ne contribue pas à renouveler notre être intérieur.

Nous n’avons certainement pas à résider au «pays de l’Oubli»,18 mais pas davantage dans celui de la «Mémoration» perpétuelle de tout et de rien, de ce qui entre autres aurait dû nous détruire si le Créateur n’avait pas lui-même fait oeuvre d’oubliance ou d’effacement. La terre promise qui est la nôtre se situe dans un éternel présent — non-statique cependant — où «les premières choses auront disparu»19 par la grâce de Celui qui s’est proclamé l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. Autant dire, la Mémoire… et l’Oubli, tout ensemble.

 

1 Le sens de la mémoire, Gallimard (1999) de Jean-Yves et Marc Tadié, respectivement professeur de littérature à la Sorbonne et neurochirurgien, directeur de laboratoire à Paris IX ; 2 Ibid., page 12 ; 3 Ameisen, Jean-Claude, La sculpture du vivant, Seuil 1999. La citation figure à la page 38, et nous revenons sur son livre dans notre article «La mort créatrice : voir page 33 ; 4 Philippiens 3 : 13-14 ; 5 « Souviens-toi, n’oublie pas », les deux verbes se rejoignent en 9 : 7 ; 6 « Tu te souviendras qu’au pays d’Egypte tu étais esclave, et que le Seigneur ton Dieu t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu.» (Deutéronome 5: 15) Mais il arrive que « Israël oublie son créateur. » (Osée 8 : 14) ; 7 9 : 27 ; 8 7:2 et 9 : 9 ; 9 Psaume 9: 13 ; 10 Esaïe 43 : 25 ; 11 Hébreux 8: 12 (Cf. Jérémie 31 : 34) ; 12 Roth Philip, Patrimoine, cité in Ameisen J.C., La sculpture du vivant, page 37 ; 13 Cité in Télérama N° 2609 / 12 janvier 2000 ; 14 Cf. Matthieu 2 : 18 citant Jérémie 31 : 15. On pourrait citer en littérature « profane » Paul Valéry : « La contemplation exclusive d’un passé insoutenable empêcherait de vivre. » (Cahiers, Œuvres complètes, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, tome 1, page 1254, cité in Tadié, page 231) ; 15 Jérémie 31 : 17 ; 16 2 Pierre 1 : 9, version Chouraqui ; 17 1 Thessaloniciens 5 : 21 ; 18 Psaume 88: 13 ; 19 Apocalypse 21 : 4.

Farid Djilani-Sergy

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La Recherche n ° 329 mars 2000, Critique de La Sculpture du vivant par Bernard Mignotte,

(…) Ce livre est à la portée du lecteur non spécialiste ; le vocabulaire employé peut être compris de toute personne qui s’intéresse à l’évolution de nos connaissances en biologie.       
Une autre qualité de ce livre est de ne pas céder à la tentation facile de faire un parallèle anthropomorphique entre les règles qui régissent le devenir des ‘sociétés’ cellulaires et celles qui gouvernent les sociétés humaines. S’il est question de ‘suicide cellulaire’, voire de ‘rite funéraire’, Ameisen ne manque jamais de rappeler au lecteur qu’une cellule n’est pas un être humain, ni de le mettre en garde contre les pièges et les dangers d’une telle sociobiologie.       
Ameisen nous propose en somme un beau livre qui fait le point sur un domaine de la biologie et de la médecine en pleine expansion et en train de transformer notre compréhension du vivant.   


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Pour la Science n°268, février 2000, Biologie

La mort cellulaire programmée, aussi nommée apoptose, est aujourd'hui l'un des phénomènes les plus étudiés par la recherche biomédicale : plus de 10 000 articles concernant l'apoptose ont été publiés dans des revues scientifiques, en 1999 seulement.

La mort des cellules était connue, depuis le XIXe siècle, comme un processus de sculpture du corps au cours du développement embryonnaire, mais la recherche biologique du XXe siècle s'est concentrée, pendant plusieurs décennies, sur la multiplication et la différenciation des cellules, négligeant la mort de ces dernières comme phénomène structurant. C'est seulement en 1972 qu'a été redécouverte la mort cellulaire et que le mot «apoptose» est apparu ; à partir de cette date, la biologie, la science du vivant, se penche sur les mécanismes moléculaires de la mort des cellules au cours des processus physiologiques (reproduction, développement, homéostasie de l'organisme adulte, vieillissement) et décrit les nombreuses situations où des cellules superflues, âgées, endommagées ou placées en dehors de leur contexte habituel, disparaissent par apoptose.

On doit évidemment vaincre une petite résistance intuitive pour concevoir que, dans notre organisme, des millions de cellules meurent chaque seconde, que cette mort massive sculpte inlassablement notre corps, que son bon déroulement, sans excès et sans oubli, est même indispensable à notre survie. Concept plus surprenant encore, les cellules ne sont pas assassinées par leurs voisines, mais contribuent activement à leur mort : elles s'autodétruisent ou, pour utiliser une expression anthropomorphe, «se suicident».

Dans cet ouvrage qui porte le sous-titre «Le suicide cellulaire ou la mort créatrice», Jean-Claude Ameisen conte avec un style parfois lyrique, adapté à la dimension philosophique de la question, l'importance du suicide cellulaire pour la physiologie et la physiopathologie des organismes supérieurs. Il donne une vision intégrée des étapes qui ont contribué à l'explosion de ces champs de recherche, tout en procurant suffisamment d'informations de base pour que le livre soit lisible par un assez large public, notamment les étudiants des facultés des sciences ou de médecine. Je regrette l'absence de schémas, de graphiques et de références bibliographiques qui, du texte, permettraient de remonter à la source des informations données, mais je dois admettre que ce texte, le premier dans son genre en langue française, a le mérite de rendre concevable l'idée de la mort (et du suicide) des cellules comme partie intégrante de la vie.

L'auteur n'hésite pas à soulever les très grandes questions philosophiques et pratiques liées à l'apoptose ; il les aborde d'une manière claire, souvent à l'aide de métaphores simples. Ainsi une grande partie du livre est consacrée aux mécanismes de régulation de la mort, de sa programmation intrinsèque et extrinsèque, de la destruction enzymatique de la cellule, du ramassage des dépouilles cellulaires au sein de l'organisme, et de l'implication de la mort cellulaire dans les pathologies et dans le vieillissement.

Le livre se demande également pourquoi, pendant l'évolution, des structures vivantes ont acquis les mécanismes fins et régulés d'autodestruction qui permettent la mort des cellules, indispensables au fonctionnement des organismes pluricellulaires, les «sociétés des cellules». C'est dans les organismes pluricellulaires que l'absence d'apoptose, pendant l'embryogenèse, peut engendrer des malformations majeures ou, plus tard, contribuer à la prolifération incontrôlée, à l'immortalisation des cellules qui, normalement, s'élimineraient (cas du cancer).

Comment le vivant a-t-il inventé la mort en son sein? La réponse est complexe, puisqu'elle demande une réflexion inductive, non vérifiable au laboratoire (l'évolution ne se récapitule pas dans un tube à essai) : la démarche doit être plus philosophique que scientifique («scientifique» au sens de Karl Popper, qui revendique la possibilité d'invalidation expérimentale). Néanmoins, J.-C. Ameisen a le mérite d'ébaucher un scénario qui rend plausible l'invention de la mort. Il part d'un constat : même si, intuitivement, l'apoptose n'a qu'un sens dans les organismes pluricellulaires (où le sacrifice «altruiste» de certaines cellules s'effectue au profit de la collectivité) et n'a pas d'utilité dans les organismes unicellulaires (qui, a priori, n'ont pas besoin de comportements altruistes), il apparaît que certains êtres unicellulaires eucaryotes, lorsqu'ils meurent, par exemple dans des conditions de culture défavorables, présentent des altérations biochimiques et morphologiques qui ressemblent à l'apoptose des cellules humaines.

Le programme officiel de la mort pourrait donc avoir été développé par des bactéries (dont des colonies ont parfois un comportement social, y compris la mort «altruiste») ; l'incorporation symbiotique de celles-ci, sous la forme de mitochondries, dans les cellules eucaryotes primitives unicellulaires (les précurseurs des organismes pluricellulaires) constituerait l'élément fondateur de la mort programmée, d'abord dans les eucaryotes unicellulaires, puis dans leurs dérivés pluricellulaires. L'auteur propose également une autre solution, sans exclure la première : le suicide des cellules pourrait être l'expression extrême de réactions cataboliques qui résulteraient de l'inversion de réactions biochimiques bâtisseuses, et la mort serait un simple sous-produit de la vie. L'énigme est servie.

Telles sont les grandes contradictions qui opposent vie et mort des cellules, individualisme et altruisme, santé et vieillissement, normal et pathologique, et qui sont habilement esquissées dans ce livre, dont la lecture profitera notamment aux non-spécialistes.

Guido Kroemer

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Article/interview, par Emmanuel Monnier publié dans le Dossier de Science & Vie n° 210, mars 2000 : " La vie au tout début ", pages 102 à 108

Mort cellulaire : un sculpteur inattendu

A peine esquissé, l’embryon se débarrasse déjà de nombreux tissus.    
Une élimination programmée, à laquelle les cellules détruites participent elles-mêmes. Mais comment d’aussi implacables mécanismes ont-ils pu s’introduire au cœur du vivant ?

Une centaine de cellules : c’est tout ce que possède, au cinquième jour de sa vie, cette petite sphère qu’on appellera désormais embryon. Cent cellules qu’on aimerait croire extrêmement précieuses. Mais pour bon nombre d’entre elles, l’aventure est déjà terminée. Elles se contractent, se fragmentent. Bientôt elles seront mortes. Accident de parcours ? Non, cette mort est " programmée ", et la cellule y participe activement. Programmée et utile, car en créant du vide au sein de l’embryon, elle permettra aux cellules de migrer vers d’autres régions où, confrontées à de nouveaux signaux, elles construiront des tissus différents.         
Cette mort porte un nom : apoptose. Et elle interviendra durant tout le développement embryonnaire, pour ciseler les organes et sculpter leur forme. Des hécatombes successives viendront séparer les doigts, éliminant les tissus qui les lient les uns aux autres ; ou feront disparaître l’ébauche de queue, à l’extrémité de la colonne vertébrale, au cours de la huitième semaine. Les reins, eux, subiront une série de métamorphoses, et seule une petite partie sera conservée pour façonner les reins humains définitifs. Comme un soutènement qui se retire au profit d’un tissu apparu plus récemment dans l’évolution du vivant.
Les cellules, avant de disparaître, se contractent, condensent leur noyau et le cytoplasme qui l’entoure, puis se fragmentent en une multitude de petits morceaux qu’absorberont leurs voisines : contrairement à l’anarchie qui règne dans les destructions accidentelles, la mort par apoptose est une mort " propre ", ordonnée.
Par quels mécanismes un tissu s’engage-t-il ainsi vers sa propre disparition ? C’est en étudiant le développement embryonnaire d’un minuscule ver, appelé caenorhabditis elegans, que les biologistes ont commencé à lever une partie du voile.   
La mort cellulaire chez cet animal a le mérite de paraître (relativement) simple : une protéine, de la famille des caspases, sert de ciseau moléculaire et taille la cellule en pièces. C’est l’exécuteur. Mais pour fonctionner, cet exécuteur a besoin d’être activé. C’est une autre protéine qui s’en charge, qu’on appellera donc l’activateur.     
La survie de chaque cellule se joue autour de cet activateur : tant qu’il est bloqué, l’apoptose ne peut pas démarrer. Pour survivre, la cellule doit donc produire, en permanence, une molécule qui neutralise l’activateur. Un protecteur, en somme. Dès qu’elle arrête de produire ce protecteur, ou si une substance antagoniste l’empêche d’agir, l’autodestruction devient inéluctable.      
Chez les mammifères, les mécanismes sont grossièrement les mêmes. Mais la quantité de molécules différentes qui interviennent change radicalement. Une multitude de protecteurs et de substances antagonistes se neutralisent mutuellement, pour contrôler plusieurs activateurs, capables, eux-mêmes, de mettre en route une quinzaine d’exécuteurs. De quoi rendre cette mort cellulaire extraordinairement plus complexe. Mais le principe reste identique : chaque cellule porte en elle une " bombe à retardement ", qui peut s’enclencher à tout moment.           
Et la mise en route de cette autodestruction n’a rien d’exceptionnel. " Toute cellule, prélevée et replacée dans un autre endroit du corps, ou isolée dans un tube à essai, ne fait le plus souvent qu’une chose : elle se tue ", constate en effet Jean Claude Ameisen, professeur d’immunologie à l’hôpital Bichat (Paris), et spécialiste des phénomènes de mort cellulaire. La question n’est donc pas tant de savoir ce qui tuera la cellule, mais plutôt ce qui fera qu’elle ne se tue pas.  
On sait aujourd’hui que différentes molécules, libérées au voisinage d’une cellule, vont l’aider à survivre. C’est le cas de certains facteurs de croissance. D’autres, au contraire, vont déclencher son apoptose. Comme le Fas ligand, une molécule qui se fixe sur l’un des récepteurs de la cellule. Ce qui déclenche une cascade de réactions chimiques, au cours desquelles différentes protéines – des caspases – sont activées. Ces caspases vont provoquer une série de dommages dans la cellule, rendant ainsi l’apoptose inéluctable.

Facteurs de survie contre signaux de mort

Les mécanismes précis, qui vont conduire telle cellule, dans un environnement donné, à s’autodétruire ou à survivre sont encore mal connus. Chaque famille de cellules dispose, en effet, de ses propres signaux de survie et de mort. Et plus une cellule reçoit de signaux de mort, plus elle aura besoin de facteurs de survie pour résister à l’apoptose. Le destin de la cellule dépend alors d’équilibres statistiques très complexes, pour lesquels il est difficile de déterminer le seuil à partir duquel le processus devient irréversible. " La cellule peut s’engager dans un début d’apoptose sans aller jusqu’au bout " , remarque ainsi Corinne Abbadie, à l’Institut de biologie de Lille (Institut Pasteur de Lille).      
Pour compliquer le tout, les signaux de mort sont souvent ceux qui, en fait, poussent la cellule à se différencier ou à se diviser. Car la cellule, lorsqu’elle se transforme, a besoin de nouveaux signaux pour survivre. Si elle les trouve, elle continuera à se différencier ou à proliférer. Dans le cas contraire, elle se détruira. Tout signal de différenciation ou de prolifération est donc un signal de mort s’il n’est pas accompagné de facteurs de survie additionnels.  
Les spécialistes de l’apoptose s’aperçoivent, par ailleurs, que les outils qu’ils croyaient réservés à la mort cellulaire remplissent d’autres fonctions. C’est le cas du cytochrome C. Cette molécule est indispensable aux mitochondries, ces petits organites qui, à l’intérieur de la cellule, lui fournissent son énergie. Mais dès que le cytochrome C quitte la mitochondrie, il contribue à tuer la cellule. De quoi jeter un peut plus le trouble sur l’origine de cette mort programmée.          
Car le suicide cellulaire, les biologistes s’en rendent compte aujourd’hui, remonte probablement très loin dans l’histoire du vivant. On en retrouve en effet la trace dans les bactéries et autres organismes unicellulaires, qui font partie des formes de vie les plus primitives. Voilà qui laisse assurément perplexe : quel avantage une cellule isolée trouverait-elle à se supprimer? Un raisonnement biaisé, selon Jean Claude Ameisen, pour qui la mort cellulaire n’a pas eu forcément, à l’origine, de finalité.           
Le scénario qu’il propose suit une autre piste. Et fait émerger la mort cellulaire programmée des combats mortels qui agitent, depuis des milliards d’années, l’univers des virus et des bactéries.       
Les bactéries, remarque-t-il, sont souvent infectées par des plasmides. Ce sont de minuscules parasites, constitués d’un simple petit ruban d’ADN. Lorsque l’un d’entre eux envahit une bactérie, il l’oblige à fabriquer les protéines correspondant aux informations génétiques qu’il contient. C’est comme cela que les plasmides parviennent à se reproduire.   
Imaginons qu’un de ces plasmides contienne, dans ses gènes, de quoi produire une protéine toxique, capable de détruire la bactérie, et une autre molécule, protectrice mais instable, qui bloque la toxine. Une fois infectée, la bactérie produit donc, avec les gènes du plasmide, la toxine et l’antidote. Mais comme celui-ci est instable, il ne protège cette bactérie que durant un temps limité.           
La bactérie infectée ne peut donc plus se passer du plasmide. Car sans lui, elle se retrouve sans antidote pour la protéger des toxines accumulées.          
Mais supposons que la bactérie récupère, par hasard, les gènes du plasmide permettant de fabriquer ces deux substances, et qu'elle les intègre dans son propre patrimoine génétique. Elle peut alors se débarrasser du parasite et produire, toute seule, l’antidote.

" Péché originel "

Ce nouveau pouvoir a pu aider ces bactéries à s’introduire dans les premières cellules eucaryotes, celles à partir desquelles se sont construits les organismes multicellulaires. Comment ces bactéries se sont-elles infiltrées ? Toujours selon le même principe : puisqu’elle produisent à la fois la toxine et l’antidote, ces bactéries ne peuvent plus quitter la cellule sans la faire mourir.
Il est possible que le hasard ait permis par la suite aux cellules eucaryotes de capturer, à leur tour, des gènes bactériens. Et d’insérer ainsi, dans leur patrimoine génétique, l’ancêtre d’un exécuteur et d’un protecteur. C’est ainsi que serait apparue, au sein des organismes multicellulaires, la capacité pour chaque cellule de s’autodétruire. Une capacité qu’elles auraient conservée jusqu’à aujourd’hui.
Un deuxième scénario repose sur ce que Jean-Claude Ameisen appelle l’hypothèse du " péché originel ". Il s’appuie sur une idée simple : la cellule, pour se construire ou se dédoubler, utilise depuis toujours des outils chimiques puissants. Si puissants, que si leur fonctionnement n’était pas étroitement contrôlé, ils pourraient aller jusqu'à détruire la cellule. " L’idée est donc que les réseaux d’enzymes bâtisseurs n’ont pu se pérenniser et se propager, que lorsqu’ils étaient associés à des réseaux d’inhibiteurs et de protecteurs, capables de restreindre ou d’interrompre leur activité ", explique Jean Claude Ameisen. En clair, le pouvoir de se construire aurait pour prix celui de s’autodétruire. L’évolution aurait ensuite sélectionné des protecteurs puissants, capables de " calmer le jeu ". Mais elle a probablement favorisé, en parallèle, des exécuteurs redoutables, capables de déclencher brutalement le suicide cellulaire et de faire disparaître une partie des cellules au profit de la collectivité.  
Ces récits sont, pour une large part, spéculatifs. Mais ils n’en ont pas moins, selon leur auteur, une portée pédagogique : tous deux montrent en effet que la mort programmée n’a pas été forcément " inventée " à un moment donné par les organismes multicellulaires pour répondre à un besoin précis. Elle est apparue. Et seule l’histoire du vivant a fait qu’on ne peut plus aujourd’hui s’en passer.          
" Si on inactive certains des gènes qui contrôlent la mort cellulaire chez les souris, les embryons ne sont pas viables. Cela ne prouve pas que la mort soit indispensable, rappelle Jean Claude Ameisen. Mais la manière dont nous sommes construits depuis des centaines de millions d'années fait que, quand on bloque cette mort cellulaire, tout s’écroule. "           
Voici qui nous ramène à notre embryon. L’apoptose y façonne aujourd’hui ses deux systèmes les plus complexes : le cerveau et les défenses immunitaires.   
Ici, il s’agit de créer des millions d’anticorps et de récepteurs différents, capables de neutraliser une variété quasi infinie d’intrus ; là, de construire un système nerveux de cent milliards de neurones, chacun pouvant être connecté à quelque dix mille neurones, soit environ un million de milliards de connexions. Or, nous ne possédons en tout et pour tout que cent mille gènes environ. Impossible, donc, de coder chaque lymphocyte, chaque connexion, par un gène différent.       
" On sort de la simple sculpture d’une forme, explique Jean Claude Ameisen, pour entrer dans les phénomènes d’auto-organisation : comment, à partir d’un nombre limité d’informations génétiques, construire un système dont la complexité dépasse ce qui pourrait être codé de façon explicite dans les gènes ".

Une diversité sous contrôle

Cette complexité, seule l’intervention couplée du hasard et de la mort cellulaire pourra la faire émerger : d’un côté, le hasard crée une diversité quasi infinie de combinaisons ; de l’autre, la mort cellulaire détruit celles qui ne fonctionnent pas.     
Dans le cerveau, le jeune neurone envoie un prolongement appelé axone à la rencontre d’autres neurones. Un axone qui ne part pas dans n’importe quelle direction : il progresse le long d’un gradient de signaux chimiques – des molécules appelées facteurs chimiotactiques – dont la concentration augmente au fur et à mesure qu’il se rapproche du groupe de neurones qui les émet. D’autres substances, répulsives cette fois, l’empêchent de s’écarter de sa route. Le résultat ? Un balisage sommaire, mais efficace : le neurone dirige son axone vers l’un des partenaires qui l’attirent, en évitant les régions qui le repoussent. Quelques gènes suffisent pour coder cela. 
Cette recherche de connexion va durer quarante huit heures environ. Deux jours, qui scelleront le destin du neurone. Car dès qu’il développe son axone, il enclenche, en parallèle, son autodestruction. Et il n’échappera à la mort que s’il parvient à capter des molécules que sécrètent, en plus des facteurs chimiotactiques, les autres neurones avec lesquels il est génétiquement " autorisé " à se connecter.       
Ces signaux, ou facteurs neurotrophiques, sont émis en très faible quantité. Le neurone doit donc établir une connexion étroite avec son partenaire. S’il se connecte mal, ou si le partenaire n’est pas le bon et ne sécrète donc pas les bons facteurs de survie, le neurone sera détruit.        
" Ce qui est codé génétiquement, ce n’est donc pas le fait que telle ou telle cellule va mourir, résume Jean Claude Ameisen, c’est le fait que la cellule ne va vivre que si elle trouve les bons facteurs de survie. Ce qui est codé, c’est une potentialité, pas un destin individuel ". 
Le système immunitaire se construit selon le même principe. A partir de quelques centaines de gènes, combinés au hasard, chacune de ses cellules, ou lymphocytes, se munit de récepteurs différents, capables de réagir à certaines molécules et pas aux autres. Ce sont les récepteurs qui décideront du destin de la cellule qui les possède.         
Ainsi, pour survivre, le lymphocyte doit être capable de réagir aux protéines de l’organisme appelées protéines du " soi ". Mais cette réaction doit rester faible. Elle ne doit pas, à elle seule, déclencher l’attaque du lymphocyte. Car il se retournerait alors contre les propres cellules de l’embryon. Les gardiens de notre immunité sont donc sélectionnés pour leur capacité à reconnaître, sans les attaquer, les substances produites par l’embryon. Ceux qui ne réagissent pas sont éliminés. Ceux qui réagissent trop violemment le sont aussi. Combien disparaissent ainsi ? Environ 95%. Une sélection impitoyable. Mais c’est à ce prix qu’émergeront, au sein de l’embryon, les fonctions les plus complexes.

Illustrations :

·                     L’art du vide. Enlever de la matière pour façonner une forme : le principe est familier au sculpteur. Pour la nature, la mort cellulaire est un outil puissant, qui encadre le développement des organes dans l’embryon. (détail de Danae, Rodin)

·                     Des cellules taillées en pièces : (schéma) Les mécanismes qui conduisent une cellule à s’autodétruire sont grossièrement les mêmes chez tous les animaux. La cellule contient différentes protéines capables de la détruire. Mais pour cela, ces " ciseaux " moléculaires doivent, au préalable, être activés par une autre protéine. La cellule survit en sécrétant en permanence une molécule protectrice qui neutralise cet activateur. Dès que ce protecteur fait défaut, ou si une substance l’empêche d’agir, les " ciseaux " se mettent au travail. La cellule se contracte et se fragmente en une multitude de petits morceaux qu’absorberont les cellules voisines : une mort " propre " appelée apoptose (photo de cellules en cours d’apoptose dans un tissu épithélial).

·                     (schéma) Le " suicide " cellulaire provient-il de lointaines bactéries ? Celles-ci sont souvent infectées par des plasmides. Imaginons qu’ils détiennent dans leurs gènes de quoi produire une toxine et un antidote. Une fois infectée, la bactérie ne peut plus se passer du plasmide, car sans lui elle n’a plus l’antidote. Sauf si, par accident, elle récupère les gènes correspondants et les insère dans son propre génome. Désormais capable de produire toxine et antidote, la bactérie les utilise à son tour pour s’introduire dans les premières cellules eucaryotes, qui formeront, plus tard, les organismes multicellulaires. Ces cellules récupèrent, par hasard, les gènes bactériens permettant de produire la toxine et l’antidote. Conséquence : elles possèdent désormais le pouvoir de se tuer elles-mêmes.

·                     Des organes révolus. Au cours du développement, des tissus entiers vont disparaître, comme autant des vestiges devenus caducs. C’est le cas de l’appendice caudal, au bout de la colonne vertébrale (photo), éliminé dans l’embryon humain au cours de la 8° semaine.

·                     Au nom de l’efficacité. Chaque lymphocyte (photo) du système immunitaire reconnaît, en principe, les protéines du " soi ". Pourquoi ? Parce que ceux qui en étaient incapables ont été éliminés.

Pour en savoir plus : JCAmeisen, La Sculpture du vivant, Editions du Seuil, 1999.

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Etudes, mai 2000, critique de La Sculpture du vivant

Que la vie soit construite sur la mort surmontée, c'est ce que nous pensions avoir appris de Hegel. Qu'un biologiste prenne la peine de nous expliquer la découverte de l'apoptose ou mort cellulaire programmée — le "suicide" cellulaire —, et c'est toute notre conception de la croissance, du vieillissement, de la construction du moi biologique et de ses défenses immunitaires, du cancer et des fantasmes du clone qui s'en trouve bouleversée. Ce que je retiens de ce livre passionnant, informatif toujours sans jamais être ennuyeux, qui prend la peine d'élever pas à pas son lecteur en usant d'abord de métaphores et d'analogies mythologiques pour le mener progressivement vers le concept et la science vivante, c'est l'insistance mise sur la relation entre interdépendance et complexité, solidarité et liberté. Non que Ameisen justifie des transferts du biologique au social; bien au contraire, il montre combien les développements récents de la biologie cellulaire doivent nous inciter à reposer lucidement les interrogations éthiques. Si le biologiste raconte le récit tumultueux de nos origines, ce n'est pas pour nous y enfermer, mais bien pour nous inciter à inventer notre avenir, dans le respect de la liberté et de la dignité humaines. Un livre décisif, dérangeant, à lire absolument, sans plus attendre, pour vieillir avec intelligence.

Jacqueline Lagrée  

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Lyon capitale n° 268, 5 avril 2000, Culture.

Dans un livre intitulé La Sculpture du vivant, Jean-Claude Ameisen explique quelles nouvelles lumières la notion de “suicide cellulaire” jette sur les relations entre la vie et la mort à l’intérieur de nos corps.

“La mort est un principe créateur du vivant”

Lyon capitale : Pourquoi vous êtes-vous intéressé au suicide cellulaire ?
Jean-Claude Ameisen : C’est au détour de mes recherches sur les maladies que j’ai commencé à m’intéresser à cette notion. C’était le début des années quatre-vingt-dix, je venais d’apprendre que mon père était malade d’un cancer incurable. Cela m’a amené à réfléchir à ce qu’était la mort, non seulement à travers la vieillesse et la maladie, mais aussi chez un individu sain. Nous savons aujourd’hui que toutes les cellules de nos corps ont le pouvoir de s’autodétruire en quelques heures. Mais ces cellules possèdent aussi des éléments protecteurs permettant l’empêchement de ce suicide. Leur survie, notre survie, dépend donc d’un fragile équilibre qui, jour après jour, résulte de la capacité de ces cellules à percevoir les signaux qui empêchent cette mort.

 

Nous apprenons avec vous qu’une révolution concernant les représentations de la mort est en train d’avoir lieu. En quoi consiste-t-elle ?      
Jusqu’à maintenant, on avait de la mort l’image d’une faucheuse brutale. À cette idée ancienne se juxtapose aujourd’hui une représentation radicalement nouvelle, celle du suicide cellulaire jouant le rôle d’un sculpteur du vivant. Cette nouvelle vision bouleverse aussi l’idée que nous nous faisons de la vie. Tout a commencé il y a un siècle par l’observation de cellules qui mouraient au cours du développement de l’embryon. Or un embryon, c’est sain et non malade. Pourquoi fait-il disparaître des cellules qu’il a patiemment élaborées ? On a depuis constaté que la mort massive de cellules embryonnaires était quelque chose de normal, lié à l’élaboration d’une forme. En effet, pour construire une forme, le vivant ajoute, mais il retire également. Une main, par exemple, se construit d’abord comme une moufle. Puis à un moment, il y a des signaux qui sont émis et qui vont entraîner l’autodestruction des tissus qui lient les doigts, ce qui aboutit à leur individualisation. Chez les espèces aquatiques, ces phénomènes sont absents, ce qui entraîne l’apparition de pattes palmées. On comprend par-là quelle est la puissance du suicide cellulaire comme outil. Et dans toute une série d’autres phénomènes, de la construction du cerveau au fonctionnement du système immunitaire, la mort apparaît également comme un principe créateur du vivant.

 

Mais il existe aussi un suicide cellulaire anormal, qui intervient dans certaines maladies. Quelles nouvelles possibilités thérapeutiques cette découverte peut-elle entraîner ?          
Dès lors que les cellules possèdent des mécanismes qui leur permettent de s’autodétruire, on peut se demander : est-ce que le dérèglement de ces mécanismes ne pourrait pas provoquer aussi des maladies ? Cela semble être le cas avec le virus du sida, qui cause le suicide de cellules sans les infecter. C’est également le cas avec les cancers, qui résultent au contraire du blocage du suicide cellulaire, ou encore avec la maladie d’Alzheimer et celle de Parkinson. L’idée nouvelle est la suivante : ce qui cause la maladie ne détruit pas les cellules, mais modifie la manière dont les signaux qui contrôlent la vie et la mort sont émis ou perçus par les cellules. Alors, si on parvient, malgré la présence d’un agent infectieux agresseur, à empêcher par des médicaments les cellules de répondre à ces signaux en s’autodétruisant, on réussira à empêcher la maladie de se développer. Cette démarche expérimentale a été utilisée depuis quatre ou cinq ans chez l’animal et donne des résultats tout à fait spectaculaires.

 

Quel éclairage les découvertes actuelles jettent-elles sur le vieillissement ? Existe-t-il par exemple une durée de vie maximale pour l’homme ?         
Il existe pour toutes les espèces animales une longévité naturelle maximale. La question, c’est de savoir par quoi elle est déterminée. Est-ce que des modifications très minimes, soit des gènes, soit de l’environnement, ne pourraient pas l’allonger ? Il n’y a pour l’instant qu’un seul exemple, qui a été publié il y a quelques mois. On a remarqué que chez la souris, l’ablation d’un gène qui contrôle l’autodestruction rallonge la longévité. Et la bonne nouvelle, c’est que, quand on augmente cette longévité, on ne fait pas vivre plus longtemps un animal vieux, mais un être jeune et fécond, qui vieillit plus tard et qui meurt plus tard. Ce que je crois important, c’est que le nouveau regard qui provient de l’examen du suicide cellulaire peut aussi permettre une compréhension différente des mécanismes déterminant la longévité. Mais un individu n’est pas la somme de ses cellules. Il a une histoire qui ne dépend pas que de son être biologique.

 

Au début du XIXe siècle, Bichat définissait la vie comme “l’ensemble des forces qui résistent à la mort”. Que pensez-vous de cette formule ?        
Dans un livre intitulé Le Cristal et la Fumée, Henri Atlan disait dans un sens différent : “La vie est l’ensemble des fonctions capables d’utiliser la mort.” Si je devais faire un lien entre cette définition et celle de Bichat, je dirais que la vie est l’ensemble des fonctions capables de résister à la mort, en l’utilisant. Comme je l’ai expliqué, la mort qui était comprise comme un événement uniquement porteur de désordre, un échec à persister, joue un rôle extrêmement important, contre-intuitif, dans des phénomènes essentiels de la vie. Et il n’est plus un domaine de la biologie et de la médecine qu’on ne puisse réinterpréter aujourd’hui grâce à cette nouvelle grille de lecture.

Propos recueillis par Pierre Tillet

 

La sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, Jean-Claude Ameisen, Seuil, 338 pages.
Internet : http://lasculptureduvivant.free.fr

Repères
Né à New York en 1951, Jean-Claude Ameisen est professeur d’immunologie à Paris 7 et au centre hospitalier universitaire Xavier Bichat. Il a publié l’année dernière La Sculpture du vivant, dont il est venu débattre en mars à la Villa Gillet. Un ouvrage qui est le fruit d’un cheminement long mais limpide “fait de plongées à l’intérieur de nos corps et de nos cellules, de voyages à travers les branches du buisson du vivant”. Jean-Claude Ameisen y synthétise les recherches actuelles en biologie concernant le “suicide cellulaire”. Cette notion, encore confidentielle il y a dix ans, donne lieu aujourd’hui à de très nombreuses questions. Un nouveau domaine de recherche émerge qui livrera peut-être les clés d’autres procédures thérapeutiques, voire d’une plus grande longévité.

 

  Jean Claude Ameisen, un savant accessible et cultivé aimant citer Eluard ou Homère. Photo Bruno Amsellem


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Sciences et Avenir Hors-Série "La finalité dans les sciences. Le sens de la vie", Oct/Nov 2000 p. 98

 

La fin de la vie


" La mort ne se contente pas d’expliquer la vie, elle la façonne et la sculpte "

Devinette qu'est-ce qui résiste le plus à l'intelligence des hommes et suscite depuis toujours des trésors de spéculations ? Réponse : la mort, cet anéantissement qui terrifie tout ce qui a conscience d'exister, ce dissolvant de la mémoire et de l'identité personnelle. La mort qui, sans le secours des mythes, de la philosophie ou de la religion, paraît le comble de l'absurde. La mort qui confère son sens à la vie, comme le point final donne sa chute et sa cohérence à l'histoire qu'on raconte. Bénis soient ceux qui se contentent de cette justification formelle et se disposent à quitter la scène de leur existence en disant: c'est assez, merci la vie ! L'essentiel de notre culture s'obstine à nier ce rien qui dissipe tout: la mort n'est, dit-on, qu'une illusion liée à l'individu, en réalité un passage, le sas vers une autre vie ou la porte étroite ouvrant sur un retour éternel. Elle n'a pas de sens, sinon celui d'ouvrir l'horizon de tout sens. Que chacun trouve donc la force de se concilier cette perspective et d'envisager sa propre fin comme la condition de la sauvegarde d'un tel horizon. Et si l'on est fâché avec le monde, comme Schopenhauer, fermons les perspectives, en refusant que notre vie engendre une autre vie avant de s'effacer. Veillons, en ce cas, à ce que notre mort s'apparente à la " finalité sans fin ", par quoi Kant désigne la beauté désintéressée.

L'arsenal des solutions destinées à inscrire la mort dans les desseins de la vie reçoit désormais le concours de la biologie. Selon des voies quelquefois paradoxales. A côté des scientifiques qui jugent que la mort ne sert à rien, qu'elle est biologiquement arbitraire et qu'elle serait indéfiniment repoussée si l'on savait supprimer le vieillissement qui la favorise (cf. Biologie de la mort, de André Klarsfeld et Frédéric Revah, Odile Jacob, 2000) à côté de ceux-là, il y a les théoriciens de la mort utile. Leurs thèses ne surprennent pas le lecteur de Schopenhauer : mourir, selon eux, ce n'est jamais que permettre la transmission optimale de ses gènes. La mort possède ici une finalité : favoriser la lignée des héritiers issus de nos cellules germinales. Auteur du Gène égoïste, Richard Dawkins désenchante à sa façon le monde des spéculations philosophico-religieuses, mieux que ne l'ont fait les philosophes matérialistes : nos gènes sont potentiellement éternels, explique-t-il, dans la mesure où ils assurent une reproduction d'eux mêmes, au sein de ces éphémères " machines à survie " que sont nos corps. Soit. L'essentiel n'est donc pas dans ma fragile enveloppe corporelle mais dans cette bibliothèque de gènes dont les généticiens reconstituent aujourd'hui l'alphabet. Cette conception ne m'émeut guère, et ne résout nullement le mystère de l'attachement affectif que j'éprouve pour mon corps ! Avec elle, la mort demeure pour moi un non-sens.

Me surprennent davantage les travaux des biologistes qui montrent que la vie est redevable à la mort, à chaque instant. Je songe aux recherches sur la mort cellulaire programmée, ce qu'on nomme "l'apoptose". Veut-on assigner à la mort une finalité non-métaphysique que l'on trouve, avec elles, matière à penser. La mort ne se contente pas d'expliquer la vie, elle la façonne dès le stade embryonnaire, elle la "sculpte", comme le démontre Jean-Claude Ameisen (cf. La Sculpture du vivant Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, Seuil 1999) : "C'est la mort cellulaire qui, par vagues successives, sculpte nos bras et nos jambes à partir de leurs ébauches, à mesure qu'elles grandissent, de leur base vers leur extrémité. [... ] Notre main naît tout d'abord sous la forme d'une moufle, d'une palme, contenant cinq branches de cartilage qui se projettent à partir du poignet et préfigurent nos doigts. La mort fait alors brutalement disparaître les tissus qui joignaient la portion supérieure de ces branches, individualisant nos doigts et transformant la moufle en gant" (p. 31). Le processus est le même pour le cœur ou pour le tube digestif. Ainsi la mort, traditionnellement associée à la décomposition des corps, se laisse-t-elle expliquer par analogie au sculpteur dont Aristote se servait pour illustrer la théorie des causes finales ! Le paradoxe est à son comble, même si j'entends bien le biologiste se défendre du soupçon d'anthropomorphisme : décrite comme "suicide cellulaire" ou "mort programmée", l'apoptose reste un mécanisme dénué d'intentionnalité. Evidemment. Mais les mots sont là, qui me disent que la mort n'est pas anéantissement mais pourvoyeuse d'ordre et d'équilibre " le seul projet reconnaissable dans les organismes vivants " (Henri Atlan). Cela est tellement vrai que la maladie relève la plupart du temps d'un dysfonctionnement de la mort ! Le cancer, par exemple, quand des cellules "refusent" de se suicider et se dédoublent sans fin, en imposant à l'organisme leurs altérations génétiques. Autre exemple, la maladie d'Alzheimer, quand les neurones se suicident en masse, sans raison. Inhibition ou déclenchement anormal de la mort... qui tue alors ce qui vivait grâce à son programme.

Jean-Michel Besnier

 

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Propos recueillis par Olivier Postel-Vinay. La Recherche n° 338, janvier 2001, p. 105-9. Idées. ENTRETIEN

Jean Claude Ameisen est professeur d'immunologie à Paris-VII et à l'hôpital Bichat, à Paris, où il dirige une équipe INSERM. Il est l'un des spécialistes mondiaux de la mort cellulaire (apoptose). Son livre, La Sculpture du vivant (Seuil 1999) a été couronné par l'Académie française et vient de recevoir le prix Jean Rostand de la vulgarisation scientifique.

" Toute cellule possède le pouvoir de s'autodétruire "

Jean Claude Ameisen :        
apologie du suicide cellulaire

Toutes les cellules du monde vivant ont sans doute le pouvoir de s'autodétruire. Cette découverte fournit une puissante grille de lecture, applicable au développement embryonnaire, à de nombre maladies aiguës et chroniques, au vieillissement et, plus fondamentalement, à l'évolution des espèces.

La Recherche : En quel sens peut-on dire que la mort cellulaire sculpte les formes de l’embryon ?

Jean Claude Ameisen : Un exemple est la formation des mains. Chez l’embryon humain au début la main apparaît comme une moufle avec les cartilages qui préfigurent les doigts, et puis soudain les cellules qui composent les tissus entre les doigts meurent. Chez les oiseaux terrestres, la mort sépare les doigts, chez les oiseaux aquatiques non, et leurs pattes sont palmées.           
Autre exemple, la formation des organes génitaux. Chez tous les embryons humains apparaissent les ébauches des organes génitaux masculin et féminin, puis en fonction du sexe génétique (XY ou XX), les ébauches du sexe opposé vont mourir. Troisième exemple : la disparition après sa formation de la queue de l’embryon humain, qui est l’équivalent de la queue du singe. C’est l’élimination d’un vestige embryonnaire d’une espèce ancestrale, témoin du rôle qu’a pu jouer la mort cellulaire dans les transformations qui ont permis un jour par hasard à des embryons de donner naissance à une espèce nouvelle. La métaphore de la sculpture montre ce qu’il peut y avoir de créateur dans le retrait : l’œuvre du sculpteur émerge de ce qu’il retire.

Quel est le rôle du hasard dans la sculpture de l’embryon ?

On croit souvent que tout est prédéterminé de manière très précise par les gènes. Il a été découvert dans les années 60 que si on prélève des cellules dans l’aile d’un embryon d’oiseau à un endroit où l’on sait qu’elles vont bientôt mourir, et qu’on les met dans une autre partie de l’aile, à un endroit où les cellules persistent, ces cellules vont survivre. Cela signifie que la survie ou la mort des cellules dépend des interactions, des dialogues, qu’elles établissent avec leur entourage. La mort des cellules au cours de la construction de l’embryon est un phénomène en partie stochastique, aléatoire, qui dépend à la fois du passé, de l’histoire des cellules, et de leur environnement présent.

En quoi le hasard et la mort cellulaire sculptent-ils aussi le système immunitaire ?

C’est dans le thymus que se différencient les cellules qui nous protégeront contre les microbes. Chacune de ces cellules présente à sa surface une structure particulière, un récepteur, qui lui permettra peut-être, un jour, de distinguer un fragment de microbe. Nous avons environ 100 millions de lymphocytes T qui ont chacun un récepteur différent. Comment se fabrique cette énorme diversité ? En faisant appel à la puissance du hasard. Ce sont des dizaines de milliards de cellules précurseurs qui pénètrent dans le thymus et fabriquent, chacune, un récepteur différent, en réalisant l’une des très nombreuses combinaisons possibles à partir d’un nombre limité de gènes. Les contacts que ces candidats lymphocytes T auront ensuite avec les cellules qui les entourent dans le thymus décideront de leur survie ou de leur mort. En gros, quand un récepteur interagit trop bien avec une structure qui appartient au corps, il reçoit un signal qui va entraîner sa mort. Et le lymphocyte disparaît au moment même où il fait la preuve de son caractère potentiellement dangereux, la preuve qu’il pourrait attaquer le corps. Quand, au contraire, le récepteur se montre incapable de réagir avec quoi que ce soit pendant trois jours, c’est l’absence de signal qui va entraîner sa mort. Les lymphocytes qui survivent ne représentent que 1% à 5% de la diversité initiale. Ce sont les lymphocytes qui ont fait la preuve que leur récepteur leur permet de dialoguer avec le corps sans l’attaquer.

Et de même, le hasard et la mort sculptent-ils notre cerveau ?

Il y a environ 100 milliards de cellules nerveuses dans le cerveau et 10 000 connexions en moyenne entre chaque cellule et l’ensemble de ses partenaires. Cela fait un million de milliards de connexions, beaucoup trop pour pouvoir être codées de manière précise par nos 40 000 à 100 000 gènes. Au cours de l’embryogenèse, on assiste là encore à la mise en jeu du hasard et à des mécanismes de correction drastiques. Si les connexions qui se forment ne sont pas assez étroites pour permettre au neurone de capter les signaux émis par son partenaire, le neurone meurt au moment où il fait la preuve de sa potentielle inutilité. Si le neurone se trompe de partenaire, il ne peut recevoir les signaux nécessaires à sa survie. Il disparaît au moment où il fait la preuve de son caractère potentiellement dangereux. Seuls subsistent les réseaux qui ont réussi, par hasard, à se construire d’une manière qui leur permet de fonctionner.

D’où est venue l’idée que ces cellules qui meurent, en réalité se suicident ?

Dans les années 1960, on a d’abord parlé de mort cellulaire programmée, puis l’idée de suicide est apparue. Il a été découvert que si on paralyse des cellules qui vont bientôt mourir, en bloquant leur capacité de fabriquer des protéines, elles survivent. L’idée est donc venue que, dans des circonstances données, en fonction des signaux reçus, la cellule déclenche elle-même un programme d’autodestruction, qui requiert des protéines qu’elle a elle-même fabriquées, et qui sont les outils qu’elle utilise pour se tuer.

Aujourd’hui, on utilise un autre mot : l’apoptose. Cette notion se distingue-t-elle du suicide ?

La notion d’apoptose est apparue dans les années 70. Le mot évoque, en grec ancien, la chute des feuilles en automne. Il désigne la série de transformations que subit la cellule quand elle s’autodétruit. Ces cellules qui se suicident ne provoquent aucune lésion. On assiste à une sorte d’implosion. A l’aide de protéines qu’elle a fabriquées et qui agissent comme des ciseaux, elle se met à se découper en petits morceaux. Pendant ce temps sa membrane reste intègre, si bien que les composants de la cellule dont certains sont toxiques ne sortent pas à l’extérieur et ne provoquent pas de lésion alentour. Mais pendant qu’elle se tue, elle émet à sa surface des signaux qui permettent aux cellules voisines de l’ingérer et de la faire disparaître.

Comment a-t-on pu mettre en évidence les gènes qui contrôlent l’apoptose ?

Comme souvent en science la solution à un problème complexe a surgi d’un détour par la simplicité. En l’occurrence le petit ver Caenorhabditis elegans. D’origine très ancienne, ce ver d’1mm de long n’a qu’un millier de cellules. Son développement embryonnaire est très simple. Pendant cette période, environ 15% des cellules s'autodétruisent, et sont ingérées par les cellules voisines. Dans les années 80, chez des mutants de ce petit ver des anomalies génétiques ont été découvertes dont le seul effet mesurable était de modifier la mort cellulaire au cours du développement. Trois gènes ont été identifiés, dont la présence permet le contrôle de la vie et de la mort de l’ensemble des cellules de l’embryon. Ces gènes permettent aux cellules de fabriquer des outils, des protéines, qui interagissent entre elles. L'une de ces protéines est un exécuteur, dont la présence est nécessaire pour que la cellule se tue. Mais cette protéine elle-même n'est pas suffisante pour entraîner la mort. Il faut qu'elle soit activée par une autre protéine, un activateur. Mais l'activateur ne peut lui-même fonctionner qu’en l’absence d'un protecteur, qui empêche ce mécanisme d'autodestruction de se déclencher dans les 85% de cellules qui normalement survivent. Depuis deux ans, on sait aussi que le protecteur lui-même peut être inactivé par un antagoniste, qui va ainsi déclencher l’autodestruction.  
La vie ou la mort d’une cellule dépend donc des quantités respectives d’exécuteurs, d'activateurs, de protecteurs et d'antagonistes qu'elle fabrique. Et cette fabrication est couplée aux signaux que reçoit la cellule au cours du développement embryonnaire. Le contrôle de la vie et de la mort dépend donc au total d’un petit module génétique relativement simple que les cellules utilisent en fonction de leur histoire et de leur environnement.

Ce module génétique se retrouve-t-il chez l'homme ?

Des parents de l'exécuteur, de l'activateur et du protecteur ont été découverts dans les années 90 chez la mouche du vinaigre, la souris et l'homme. Mais le module a subi une extraordinaire diversification. Il existe dans notre espèce au moins une quinzaine d'exécuteurs différents et une vingtaine de protecteurs et d'antagonistes. Et de cette diversité naît une vertigineuse complexité. Ce n’est pas le même chemin qu’une cellule suivra pour s’autodétruire en réponse à deux signaux différents, ni même parfois, en fonction des circonstances, en réponse à un même signal.

Le suicide cellulaire joue-t-il un rôle après la période de développement embryonnaire ?

Le suicide cellulaire joue un rôle essentiel dans la formation de l'être vivant. Mais ce mécanisme n'est pas propre à l'embryogenèse : il se poursuit à l'âge adulte et jusqu'à la mort. Ainsi les cellules de la peau, du sang ou de l'intestin, nées de cellules souches, déclenchent toutes leur autodestruction au bout de deux ou trois jours. Quelque cent milliards de cellules s'autodétruisent chaque jour dans notre corps. Elles sont aussitôt remplacées par cent milliards de nouvelles cellules, soit un million de cellules neuves par seconde. Contrairement à la perception que nous en avons, nous changeons sans arrêt de peau. Une découverte plus récente est que les cellules dont la durée de vie est longue, celles du cerveau, du système immunitaire, du foie, du cœur, possèdent à tout moment la capacité de s'autodétruire. Elles sont en réalité aussi fragiles que les autres. La seule raison pour laquelle elles survivent est qu'elles reçoivent de leur environnement les signaux qui les empêchent de s'autodétruire. L'état d'une cellule donnée dépend des relations qu'elle entretient avec les cellules avec lesquelles elle communique. Dans les années 90 on s'est mis à parler du contrôle social de la vie et de la mort. Depuis deux ans on sait aussi que des cellules souches peuvent remplacer des cellules qui meurent dans de nombreux organes, y compris le cerveau. Une voie de recherche fascinante est d’essayer de comprendre jusqu’à quel point la mort et le renouvellement de nos neurones peut jouer un rôle dans la plasticité de notre cerveau.

En quoi cette notion de contrôle social modifie-t-elle notre perception des interactions cellulaires et des moyens d'agir sur ces interactions ?

Quand nous montons en altitude, le nombre de nos globules rouges augmente. Une hormone, l'érythropoïétine, entraîne la présence d'un plus grand nombre de globules rouges, qui vont donc mieux véhiculer l'oxygène et en compenser la rareté. Or contrairement à ce qu'on a longtemps cru, cette hormone n'entraîne pas une productivité accrue des cellules souches de notre moelle osseuse qui fabriquent les globules rouges. Elle empêche les cellules filles qui vont devenir en quelques jours des globules rouges de s'autodétruire. En réalité, les cellules souche fabriquent chaque jour beaucoup plus de cellules filles qu'il n'y aura de globules rouges. Beaucoup s'autodétruisent, tout simplement parce que la quantité d'érythropoïétine présente est inférieure à ce qui serait nécessaire pour assurer leur survie. Quand l'oxygène se raréfie la quantité d'hormone augmente, plus de cellules survivent et le nombre de globules rouges augmente. Il est plus économique d'empêcher des cellules de mourir que de fabriquer de nouvelles cellules, ce qui peut prendre plusieurs jours. Nous sommes là en présence d'un mécanisme de contrôle dynamique extrêmement puissant : augmenter le nombre de certaines cellules dans le corps simplement en empêchant les cellules qui sont produites en excès de s'autodétruire, ou au contraire en diminuer le nombre en en accentuant l'autodestruction.

Le suicide cellulaire joue-t-il aussi un rôle dans les maladies ?

Oui. Depuis dix ans, on pense que de très nombreuses maladies sont dues à des dérèglements des mécanismes de suicide cellulaire. Auparavant, l'idée était que dans des maladies chroniques ou aiguës dans lesquelles des cellules meurent en excès, un agresseur détruit ces cellules. Dans la maladie d’Alzheimer, de Parkinson, un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde, l’idée la plus courante était qu’on ne pourrait sauver les cellules qu’en empêchant l'agresseur d'opérer. Mais si les cellules meurent non parce qu’un agresseur les détruit mais parce qu'elles perçoivent ou ne perçoivent pas certains signaux et déclenchent leur autodestruction, il suffit de changer les signaux, ou de changer leur réponse aux signaux, pour qu'elles survivent. La question est de savoir dans quelles circonstances et pour quelles cellules le fait de modifier des signaux ou de bloquer la perception de signaux peut être une stratégie thérapeutique applicable.

Ce concept ouvre-t-il de véritables perspectives thérapeutiques ?

Je vais d’abord vous répondre par une métaphore. Dans l'Odyssée le chant des sirènes entraîne la mort des marins. Circé a donné deux conseils à Ulysse : boucher les oreilles de ses marins avec de la cire et se faire lui-même attacher au mât du navire pour qu'entendant le chant il ne puisse pas mourir. La mort est présentée comme une forme d'autodestruction, la participation de celui qui entend le chant étant nécessaire. Dans un autre mythe grec, quand les sirènes commencent à chanter, Orphée se met à jouer de la lyre, et son chant neutralise celui des sirènes.      
Ces deux histoires illustrent trois stratégies qui sont actuellement explorées en biologie : bloquer la perception du signal de mort, bloquer la capacité d'y répondre, ou ajouter des signaux contraires.

Les expériences sur l'animal sont-elles concluantes ?

Il y a, depuis cinq ans, des résultats spectaculaires. Des médicaments qui bloquent l'activité de la plupart des quinze exécuteurs permettent par exemple à la plupart des neurones de survivre quand une artère est obstruée par un caillot sanguin. Car contrairement à ce qu’on pensait, ce n’est pas d’asphyxie que meurent dans ce cas les neurones. Ils déclenchent leur autodestruction. Si on empêche les exécuteurs de fonctionner, la plupart des cellules survivent et l’animal n’a pas de lésion. Ces médicaments permettent aussi de retarder de manière significative le déclenchement de maladies neurodégénératives chez la souris, maladies qui ressemblent par exemple à la chorée de Huntington chez l'homme. Comme dans l’histoire d'Orphée, on peut aussi, par manipulations génétiques, obliger les cellules à fabriquer un protecteur en grande quantité. Si une artère est obstruée, les neurones vont alors survivre et l’animal n’aura pas de lésion.

Empêcher la mort cellulaire ne risque-t-il pas d'entraîner un cancer ?

Intervenir dans les maladies aiguës paraît de plus en plus envisageable chez l'homme puisqu'il s'agit de bloquer l'autodestruction cellulaire pendant un temps très court. Le problème est plus compliqué dans les maladies longues où des cellules disparaissent anormalement en grand nombre. Votre question en appelle une autre, celle du rapport entre les mécanismes du suicide cellulaire et les cancers. On a longtemps pensé que la cause première des cancers était un excès de fécondité cellulaire. Il semble que les premières anomalies génétiques que subit la cellule au début d'un cancer lui permettent de survivre dans des conditions où normalement l'environnement de cette cellule l'obligerait à déclencher son autodestruction. Mais c'est à tort que l'on on dit les cellules cancéreuses immortelles. Elles sont seulement moins mortelles, car le déclenchement du suicide est anormalement réprimé. Si une seconde anomalie génétique déclenche le dédoublement de cette cellule, la population de cellules anormales va alors s'accroître d'autant plus vite qu'elles ont perdu la capacité de s'autodétruire. On pense aujourd'hui qu'une anomalie génétique entraînant un dédoublement cellulaire entraîne habituellement le déclenchement du suicide cellulaire. Une anomalie génétique entraînant un dédoublement ne peut donc perdurer que si une autre anomalie génétique l'a précédée qui réprime la propension de la cellule à s'autodétruire. Autrement dit, une cellule devient moins mortelle avant de devenir trop féconde. Mais, nous l’avons vu, les mécanismes qui contrôlent l’autodestruction sont nombreux. Et le blocage de l’un ou l’autre d’entre eux n’aura pas la même probabilité de favoriser l’apparition d’un cancer. Pour revenir à votre question, des expériences chez l’animal suggèrent que le risque de cancer au cours d’une thérapie qui vise, par exemple dans une maladie neurodégénérative, à bloquer la mort cellulaire, dépendra de la stratégie choisie pour empêcher l’autodestruction.

Une thérapie anticancéreuse fondée sur la stimulation du suicide cellulaire est-elle envisageable ?

C'est en fait déjà le cas de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Contrairement à ce qu'on a longtemps cru, ces traitements ne détruisent pas les cellules, ils les forcent à s'autodétruire. Ce qui explique que certaines cellules résistent. Bien que dans un cancer les mécanismes d'autodestruction soient en principe verrouillés, aucune cellule ne perd complètement la capacité de fabriquer les outils lui permettant de s'autodétruire. La chimiothérapie et la radiothérapie réactivent ces outils. Mais plus une cellule cancéreuse est génétiquement modifiée, plus son module d'autodestruction se détraque et plus la probabilité augmente qu'elle résiste au traitement et contribue, par la suite, à former des métastases.   
Compte tenu de la diversité d'état génétique des cellules cancéreuses, une des voies les plus prometteuses semble être aujourd'hui de chercher à provoquer l’autodestruction non pas de ces cellules anormales mais des cellules saines qui les entourent et dont elles ont besoin pour survivre et se multiplier. C'est ce qu'on appelle les thérapies " anti-angiogenèse ". Elles ont pour objectif d’entraîner l’autodestruction des cellules formant les vaisseaux sanguins entourant la tumeur et contribuant à la survie des cellules cancéreuses.

Revenons au petit ver et à l'évolution. Le suicide cellulaire est-il un phénomène universel dans le monde vivant?

Découverte chez l'animal, l'apoptose concerne aussi le monde végétal. La chute des feuilles en automne est due à l'autodestruction de certaines cellules au niveau de la tige. Mais on a longtemps pensé que le phénomène n’existait que dans les organismes multicellulaires. Ce fut même un dogme. L'idée était qu'à partir du moment où les corps multicellulaires se sont formés, le destin de chaque cellule devenait moins important que celui de la collectivité à laquelle elle appartenait. Il y avait un côté finaliste dans cette conception : on voyait que l'autodestruction était essentielle pour construire un corps, et l'on en concluait que l'autodestruction était apparue au cours de l'évolution au moment même où les premiers corps se sont construits.       
On sait maintenant que cette idée était fausse : le suicide cellulaire existe dans la quasi totalité du monde vivant. Y compris chez les bactéries. C'est un beau paradoxe : comment comprendre qu'un unicellulaire possède les outils de sa propre mort ? Plusieurs hypothèses permettent de l’expliquer. Je pense que dès l'origine de la vie, toute cellule possédait déjà la potentialité de s'autodétruire. Non parce que les outils d'autodestruction auraient été sélectionnés en elle dans ce but, mais simplement parce que la cellule, la première cellule, a nécessairement à sa disposition des enzymes qui, tout en servant à sa construction et à sa survie, sont aussi en eux-mêmes des instruments extrêmement dangereux, capables de provoquer la mort. Pour se construire et survivre une cellule a dès l'origine, potentiellement, des couples d'exécuteurs et de protecteurs, pour la bonne raison que tout outil bâtisseur est aussi un exécuteur si un autre outil ne contrôle pas étroitement son activité.  
Au début l'autodestruction a dû être stochastique : une cellule se construit et se reproduit, et de temps en temps, ne pouvant contrôler l'effet de ses outils, elle s'autodétruit. Petit à petit ont été sélectionnés, au hasard de leur apparition, des protecteurs de plus en plus efficaces qui empêchent les outils bâtisseurs de déraper. Ont aussi été sélectionnés des bâtisseurs capables dans certaines circonstances de provoquer l'autodestruction, parce qu'en cas de pénurie, par exemple, la survie des collectivités d’unicellulaires a pu être favorisée par le sacrifice d’une partie de leurs membres.

Est-ce à dire que l'autodestruction serait un moteur de l'évolution ?

Je vois un double " péché originel " : d'un côté la naissance du pouvoir de s'autodétruire, de l'autre l'impossibilité, pour une cellule qui se reproduit, de recopier sans erreur les informations génétiques qu'elle contient. A partir de là, deux formes d’évolutions aléatoires et apparemment contradictoires se sont développées en parallèle. L'une a eu pour effet d’augmenter la fidélité des mécanismes de détection des erreurs et de réparations, l'autre au contraire d’augmenter la naissance de la diversité : enzymes dans les bactéries favorisant l'apparition de changements, invention de la sexualité... On conçoit que devant l'impossibilité de ne pas s'autodétruire de temps en temps, la cellule ait conservé, à mesure qu’ils apparaissaient par hasard, des mécanismes favorisant la répression de cette autodestruction, et d'autres favorisant au contraire sa réalisation. Au sein de la cellule, tout acteur peut sans doute être, selon la pression de l'environnement, mis au service de l'une ou l'autre tâche. Depuis un an on sait que les ciseaux des exécuteurs ont aussi, dans certaines circonstances, des activités importantes dans la survie cellulaire. Voilà sans doute une raison pour laquelle une cellule cancéreuse n'arrive pas à se débarrasser complètement de ses outils d'autodestruction : ils ont d'autres rôles. C'est un risque d'une thérapie de longue durée fondée sur le blocage de l'autodestruction : on bloquera aussi sans doute d'autres activités cellulaires.

Existe-t-il un lien entre suicide cellulaire et vieillissement ?

On s'est longtemps dit : les cellules meurent parce qu'elles sont détruites ou parce qu'elles sont usées. Aujourd'hui on sait que le plus souvent elles meurent de manière prématurée en déclenchant leur autodestruction. De même on se dit que les individus vieillissent parce qu'ils sont usés, parce qu'ils n'arrivent plus à résister aux agressions de l'environnement. Le vieillissement est-il la limite de nos corps face à l'usure, ou pourrait-il lui-même procéder pour partie d'un phénomène d'autodestruction ?      
Est-ce que la longévité maximale des individus d'une espèce est réglée par une forme d'équilibre, de compromis entre des exécuteurs qui abrègent leur durée de vie et des protecteurs qui les contrebalancent un temps ? Existerait-il une analogie entre le sort d'un individu et celui d'une cellule, même si les outils moléculaires impliqués n’ont peut-être rien à voir ?  
En manipulant des gènes ou l'environnement, on parvient maintenant à modifier la durée de la vie. On peut doubler la longévité de la souris, la quadrupler chez le petit ver. Il y a donc une très grande plasticité. Tout se passe comme s'il existait des mécanismes qui accélèrent la fin et d'autres qui s'y opposent. Or des travaux récents montrent aussi, chez le petit ver et la drosophile, que si on retire les cellules germinales la vie de l'adulte sera prolongée. On retrouve cette vieille idée que la reproduction a pour coût le vieillissement et la mort, sauf que là c'est seulement de reproduction potentielle qu'il s'agit. Les cellules germinales produisent des signaux qui accélèrent le vieillissement. Et des expériences sur le petit ver montrent que certains des gènes qui sont impliqués dans le raccourcissement de la durée de vie de l’adulte, sont aussi impliqués de manière essentielle dans la construction de l'embryon. En d’autres termes, ce qui nous fait vieillir et disparaître est peut-être ce qui a permis à nos ancêtres de nous faire naître, et qui nous permet à notre tour d’avoir des enfants.

Est-ce à dire que les recherches récentes réhabilitent le cliché " place aux jeunes " ?

On a souvent tendance à penser que le vieillissement est une invention relativement récente dans l'évolution. Comme le suicide cellulaire, on le croit lié au regroupement de cellules en corps. On oppose le soma aux cellules germinales qui permettent de construire un corps nouveau et dont on dit souvent qu'elles sont immortelles. On nie souvent l'existence de phénomènes de vieillissement chez les unicellulaires, de même qu'on leur déniait le pouvoir de s'autodétruire. Un peu comme si le vieillissement et la mort avaient été un prix à payer pour l'apparition de la complexité. Ce point de vue est si fortement ancré que de nombreux chercheurs ont négligé un point pourtant bien documenté : c'est que les cellules de levure, organismes unicellulaires apparus il y a au moins un milliard d'années, vieillissent, enfantent, deviennent stériles et meurent. Si on a pu le voir chez la levure, c'est que la cellule fille qui naît de la cellule mère est plus petite qu’elle. Une cellule qui vient de naître aura elle-même un nombre donné de cellules filles, puis deviendra stérile et mourra. Depuis quelques années, on sait aussi que la cellule mère ne répartit pas de manière égale et symétrique ses constituants entre sa fille et elle-même. Elle accumule en elle des composants dont certains contribuent à entraîner son vieillissement, sa stérilité et sa mort. Tout se passe comme si la cellule mère gardait en elle ce qui va la faire disparaître et répartissait dans la cellule fille les composants qui lui permettent d’être plus jeune et plus féconde.

Mais peut-on établir un lien entre le vieillissement et les mécanismes d'autodestruction cellulaire dont vous nous avez parlé ?

Dans ce modèle de la levure, on voit que la frontière entre autodestruction et vieillissement est très floue. Une cellule vieillit et meurt parce qu'elle garde ce qu'elle fabrique qui va la tuer et ne le donne pas à ses filles. Ce modèle suggère aussi la possibilité que la pérennité du vivant soit due tout simplement à l’apparition aléatoire d'une asymétrie : la capacité de produire du jeune s'exerce aux dépens de la survie de celui qui le produit. On revient à l'idée que le vivant ne peut se construire qu'au prix de métamorphoses profondes qui aboutissent à la disparition prématurée de l’ancêtre, et, de manière plus générale, à la disparition prématurée d’une partie de la collectivité au profit d’une autre.  
A mon avis, la notion de dédoublement cellulaire correspond à une illusion, et tout phénomène de reproduction dans le monde vivant est asymétrique et s'accompagne d'une forme de vieillissement. On n'a pas encore mis ce phénomène en évidence chez les bactéries, mais il existe sans doute dans toutes les cellules.   
Je pense qu'il existe des liens étroits entre les mécanismes d'autodestruction cellulaire, par lesquels la disparition prématurée d'une partie des cellules va favoriser la survie du reste de la collectivité, et le vieillissement cellulaire, par lequel la disparition prématurée de l’ancêtre favorise la naissance de cellules plus jeunes et plus fécondes. 
Je pense aussi que ces recherches nous conduiront à rapprocher le vivant de la matière dont il est issu et que ces questions d'autodestruction et de vieillissement ont peut être quelque chose à voir avec l’idée qu’une augmentation locale de la complexité et de l'organisation (en d’autres termes une diminution locale de l'entropie) ne peut se produire sans qu’augmente en même temps, à côté, le désordre.

Propos recueillis par Olivier Postel-Vinay

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"Le suicide cellulaire. Découvertes récentes et nouvelles perspectives médicales", compte-rendu de la conférence de JC Ameisen au Centre social de Cosne-sur-Loire, Club-Réflexion du Lycée George SAND

 

En introduction, le livre de J.C. Ameisen, La Sculpture du Vivant, a été présenté comme un "livre profondément humain" où, contrairement aux habitudes des ouvrages scientifiques, le chercheur expose les raisons personnelles de l'orientation de ses recherches.

 

C'est lors de la mort de son père, atteint d'un cancer du foie, maladie incurable, que la question du suicide cellulaire a pris corps théoriquement dans l'esprit de J.C. Ameisen. Cette mort l'interpelait à tous les niveaux de sa personne : d'abord au plan personnel, intime, par la disparition de son père, ensuite en tant que médecin, impuissant face à la mort, et enfin en tant que chercheur, car il lui a semblé alors que les questions essentielles de la mort n'avaient pas été envisagées dans toute leur étendue. Jean Claude Ameisen, professeur d'immunologie à l'université Paris-VII et au centre hospitalier universitaire Bichat, spécialiste de l'étude des cellules, a donc posé le problème de la signification de la mort en biologie.

Contrairement aux apparences, la vie et la mort ne sont pas radicalement antagonistes. Le corps humain, par exemple, est une colonie de cellules hétérogènes, dont beaucoup meurent (s'autodétruisent) pour permettre le renouvellement organique. Il en est de même pour des colonies plus simples et diffuses, telles que les collectivités bactériennes. En fait, le corps des vivants complexes ne fonctionne pas très différemment d'une collectivité de bactéries. Dans tous les cas, mourir, c'est tout simplement céder la place à ce qui naît. Les cadavres de cellules sont autant de produits nutritifs ingérés par celles qui restent ; ces produits permettent à celles-ci de survivre et de se multiplier en se divisant un certain nombre de fois. En bref : tout se passe comme si le tout ne pouvait persévérer dans l'être que par le suicide de la partie.

 

I° La mort créatrice : la sculpture du vivant.

On a longtemps considéré la mort comme l'incapacité de résister aux agressions de l'environnement, du temps, de certains facteurs extérieurs. Or, sans méconnaître qu'une cellule puisse être détruite directement par une agression quelconque (par exemple, un acide), il existe un autre phénomène : la capacité d'une cellule de s'autodétruire en quelques heures. La vie se définit alors essentiellement comme ce qui résiste, non pas aux agressions extrinsèques, mais à cette autodestruction interne. D'ailleurs, la capacité de résister à une agression extérieure dépend elle-même de l'aptitude de certaines cellules à se sacrifier pour la survie du tout. Un organisme attaqué par un virus, un micro-organisme, un parasite se défend souvent en pratiquant la politique de la terre brûlée, c'est-à-dire en commandant l'autodestruction de toute la zone infectée (phénomène spectaculaire chez certaines plantes). Cette aptitude à l'autodestruction est donc tout à fait vitale au plein sens du terme. Quand une cellule meurt, c'est, la plupart du temps, qu'elle " cesse de s'empêcher de se tuer " ; la vie apparaît alors comme la négation d'un événement négatif, la négation de l'autodestruction.

Evidemment, le suicide cellulaire n'intervient pas seulement comme une politique de défense paradoxale. Ce phénomène a essentiellement pour fonction de sculpter la vie, avant même de la défendre. La mort est créatrice, et la création est sculpture. Un organisme se forme en multipliant ses cellules, mais aussi en détruisant une foule d'entre elles, comme le sculpteur élimine une quantité considérable de pierre en donnant ses coups de burins. Ce phénomène d'autodestruction se remarque dès l'embryon : en l'absence de toute maladie, une cellule peut se tuer. Par exemple, règle fréquente, une cellule toute seule, qui ne perçoit plus de signaux émanant des autres cellules, finit par se suicider. Elle ne peut vivre seule.

Le corps peut ainsi se concevoir comme une société interdépendante. La mort est une possibilité permanente de chaque cellule, mais la communauté cellulaire l'empêche jusqu'à un certain point. En fait, la capacité de déterminer la vie et la mort fait partie intégrante de cette vie collective : on parle d'ailleurs de " démocratie cellulaire ", le tout primant sur la partie. Dans l'embryogenèse, la vie et la mort jouent un rôle complémentaire.

La formation des doigts illustre parfaitement cette complémentarité. La main n'est au départ qu'une sorte de moufle, dont les doigts se différencient par le suicide des cellules composant les tissus qui les réunissent. Le même phénomène intervient pour différencier les oiseaux aquatiques des oiseaux terrestres, qui perdent leurs palmes interstitielles au cours de l'embryogenèse. Même chose dans la genèse des organes sexuels : l'embryon est doté, au début, d'une esquisse des appareils génitaux mâle et femelle, et, en fonction de l'information génétique, les cellules de l'un ou de l'autre s'autodétruisent. Corrélativement, on observe des différenciations analogues à l'intérieur du système nerveux : chez le canari, tout embryon comporte au départ les neurones capables d'intervenir dans l'élaboration du chant nuptial ; mais ces neurones finissent par mourir chez la femelle, qui ne chante pas.

 

II° La formation de la complexité.

En sculptant l'organisme, le suicide cellulaire détermine au bout du compte ce qu'on appelle la complexité : comment parviennent à se construire des structures complexes, qui dépassent, et de loin, les simples instructions fournies par les gènes. L'embryon construit un système de connexions au-delà de l'information génétique. La construction de l'embryon est modulaire, elle se fait par parties, d'abord indépendantes, mais qui finissent par se rejoindre et par former des interactions.

La construction du système nerveux, par exemple, illustre ce scénario de la complexité. Le système nerveux humain comporte quelque cent milliards de neurones. Le codage génétique détermine l'apparition des neurones, mais c'est le suicide cellulaire qui réussit le montage final. Tous les neurones sont génétiquement programmés pour former un axone, sorte de long filament qui permet la connexion avec d'autres cellules, un peu comme un câble électrique ; ils sont également programmés pour voyager à l'intérieur de l'organisme. Or, les neurones finissent par se détruire, sauf s'ils rencontrent un autre neurone ou toute autre cellule avec laquelle une connexion est possible (ces cellules-partenaires envoient des signaux permettant la connexion). Le neurone se suicide ainsi dans deux cas : a) s'il ne rencontre rien avec quoi établir une connexion (synapse) ; b) s'il rentre en contact avec une cellule non-partenaire. Les neurones qui ont mal voyagé meurent de cette façon. En définitive, un corps est constitué de réseaux de survivants qui se connectent avec d'autres réseaux de survivants. Le voyage des neurones est déterminé génétiquement, mais la complexité naît en quelque sorte du hasard des rencontres. Des phénomènes analogues expliquent également la construction du système immunitaire, composé de milliards de lymphocytes.

 

III° Les règles du jeu.

La mort est potentielle, la capacité à s'autodétruire est programmée génétiquement ; mais, comme on l'a vu, le destin individuel de chaque cellule n'est pas prédéterminé. La formule du suicide cellulaire est la suivante : la cellule meurt, non parce qu'un signal extérieur la tue directement, mais parce qu'elle se tue en fonction des signaux (ou de l'absence de signaux) auxquels elle est confrontée dans ses rencontres. En un sens, quand une cellule meurt, c'est elle qui " décide ".

Le thème de la " décision " ne doit pas néanmoins tromper. Pour développer une analogie tirée de l'Histoire, on peut dire qu'il s'agit d'un suicide contraint, un peu comme celui de Socrate, ce qui écarte la notion trop facile d'un " libre-arbitre " des cellules. Même si la destruction dépend de la cellule elle-même (même si c'est Socrate qui accomplit tout seul le geste le geste fatal), il n'en reste pas moins que c'est un contexte global qui contraint l'individu à se donner la mort. En outre, il s'agit d'un suicide sans espoir de retour. Au Japon, on emploie des aides pour accompagner ceux qui vont se faire " hara-kiri " dans leurs derniers moments. Mais, au cas où le suicidaire serait tenté de renoncer, l'aide est chargé de l'exécuter. Or, une colonie de cellules fonctionne " à la japonaise ". Une cellule en train de se tuer implose et se détache de ses voisines, elle se détruit en se rétrécissant, elle part ensuite en morceaux qui sont ingurgités par les autres cellules avoisinantes. Mais elle ne saurait revenir en arrière, car même si elle s'arrêtait dans son processus d'autodestruction, elle serait ingérée quand même. Ainsi, le suicide cellulaire ne consiste pas à se tuer en toute liberté.

 

IV° Exemples de suicides.

L'autodestruction rapide et constante des cellules de la peau est un exemple : notre peau, contrairement aux apparences, n'est jamais la même, elle se renouvelle indéfiniment. En ce qui concerne des territoires cellulaires persistant, comme l'ensemble des neurones, la différence est de degré, mais pas de nature : en cas de fracture de la moelle épinière, les neurones coupés de tout signal se tuent également. On retrouve ici une des règles fondamentales de la colonie cellulaire : une cellule qui ne perçoit plus aucun signal de la communauté s'autodétruit très rapidement.

Autre exemple. Dans certaines circonstances (infections), les ganglions poussent. En fonction du signal transmis par l'agent pathogène, les cellules se multiplient très vite, il s'en crée des centaines de milliards. Mais, au bout de quinze jours environ, elles s'autodétruisent pour ne pas envahir l'organisme; seules subsistent des cellules-mémoire qui iront renforcer le système immunitaire. Les maladies auto-immunes correspondent, du reste, à un déficit de suicide : certains facteurs empêchent l'autodestruction des cellules défensives qui prolifèrent alors et se retournent contre l'organisme.

Un phénomène cyclique, les règles des femmes, illustre également le suicide cellulaire : des hormones favorisent l'autodestruction des cellules de l'utérus. Différemment, mais selon le même schéma, l'EPO pris par certains sportifs ne fabrique pas des globules rouges, comme on l'a raconté ; il contient simplement des produits qui les empêchent de se tuer naturellement.

Même dans un petit ver blanc composé de mille cellules analogues, il y a des phénomènes d'autodestruction, même si, bien évidemment, il y a des naissances cellulaires en même temps. Chez le petit ver, on sait qu'un gène contrôle la fabrication d'exécuteurs qui vont permettre à la cellule de s'autodétruire, un autre gène contrôle celle de protecteurs qui vont empêcher le suicide, et un troisième gène celle d'outils permettant aux cellules survivantes de manger les mortes. Chez l'homme, chacune des trois tâches est contrôlée par 15 gènes, ce qui laisse du choix. Beaucoup de suicides cellulaires interviennent chez l'homme, mais ils ne sont pas tous de même nature.

Certaines maladies sont dues à la disparition anormale et excessive de cellules. Par exemple, la maladie d'Alzheimer, ou celle de Parkinson. On pensait jadis que la disparition était due à l'agression des cellules nerveuses par diverses substances. En réalité, il semble bien s'agir d'un excès de suicide. Ces cas sont assez proches d'une maladie dégénérative de l'oeil qu'on trouve chez la souris. En fait, en introduisant un gène protecteur ou des médicaments qui bloquent les exécuteurs, on parvient à empêcher la disparition de la rétine chez ces animaux. C'est l'anomalie de l'environnement qui entraîne le suicide, certes, mais les cellules ne sont pas détruites directement par un facteur extérieur. Dans le cas d'accidents vasculaires cérébraux humains, le manque d'oxygène n'empêche pas la cellule de survivre comme on le croyait, mais il exige le suicide.

Le cancer est la situation caricaturale de la cellule qui refuse de s'autodétruire. Le cancer ne vient pas de ce que la cellule se multiplie trop (heureusement qu'il existe une multiplication des cellules, nécessaire à la survie et à la réparation de l'organisme), mais de qu'elle devient incapable de s'autodétruire en présence des signaux habituels. De fait, une anomalie génétique quelconque les empêche de se tuer. Or, la chimiothérapie, la radiothérapie ne tuent pas ces cellules, elles les forcent à se tuer elles-mêmes. Il serait d'ailleurs intelligent d'entraîner par des médicaments le suicide, non pas des cellules tumorales, mais celui des cellules normales exploitées par les tumeurs : les cellules des vaisseaux sanguins qui nourrissent la tumeur. Car chaque cellule cancéreuse, dans une même tumeur, est un cas d'espèce, ce qui présente au total une multitude innombrable d'anomalies génétiques, difficiles à combattre de front. Il est donc plus sensé de combatte des cellules nourricières, normales, et à peu près identiques.

Il y a des plantes qui s'autodétruisent très bien en présence d'un agent infectieux en faisant des trous : stratégie de la terre brûlée, qui consiste à placer l'agent pathogène au milieu d'un vide où il ne peut plus subsister. Mais ce genre de plante a tendance à faire des trous pour le moindre corps étranger, confondu avec un réel agent pathogène : goutte d'eau ou insecte inoffensif. Elles finissent souvent par mourir à force de faire des trous.

Certains virus bloquent le suicide des cellules qu'ils investissent pour vivre, cela explique la pré-cancérisation liée aux virus. Dans des conditions normales, le système immunitaire se charge du nettoyage ; mais dans des conditions anormales (ex : SIDA), le corps développe des cancers d'origine virale.

 

V° La démocratie cellulaire.

Ces exemples dévoilent un principe : celui de l'utilité collective. La cellule est " altruiste " : elle sait disparaître au profit de l'ensemble. Or, l'altruisme est né de combats " égoïstes ", de luttes pour la survie. La collectivité des cellules, pour survivre, donne l'ordre de se sacrifier à une partie d'elle-même. Ce phénomène date sans doute des premières symbioses, entre bactéries et virus.

Le suicide cellulaire est très ancien, on le trouve chez des unicellulaires tels que les bactéries. Mêmes les bactéries sont exposées à des agents infectieux, des unicellulaires plus petits, tels que les virus ou les plasmides. Le destin de la colonie de bactéries et du virus qui l'attaque sont étroitement liés. Le suicide des bactéries attaquées intervient pour sauver le reste : politique de la terre brûlée. Mais le virus voyage et attaque une autre partie de la colonie qui se suicide à son tour, et ainsi de suite, sachant que chaque suicide fournit aussi de la nourriture aux bactéries qui restent, ce qui leur donne la force de se multiplier. Un tel processus n'a plus de fin ; c'est une symbiose : la symbiose lie en fait des ennemis qui ne peuvent revenir en arrière, la seule solution à la nuisance, c'est la mort de certaines bactéries pour sauver les autres.

On peut alors parler d'une démocratie bactérienne, mais cette démocratie fonctionne pour les besoins de la guerre. Le vote se fait à la majorité et il faut que celle-ci soit représentative, c'est-à-dire qu'un quorum soit atteint. C'est ce qui se passe au niveau des signaux que les bactéries émettent. La décision de se tuer est en fait une décision collective. Il s'agit d'une démocratie d'essence totalitaire, où une majorité représentative décide de sacrifier la minorité la plus exposée au virus.


VI° On n'a rien sans rien...

Le monde des cellules est le monde des morts prématurées : il est rare qu'une cellule soit tuée directement par un agent extérieur. En général, une cellule meurt avant que d'être tuée. Bien évidemment, la mort peut être plus ou moins prématurée, le suicide cellulaire peut advenir avec des fréquences très différentes en fonction des organismes, et en fonction des types de cellules à l'intérieur d'un même organisme.

Les différences de fréquences ne sont ni des avantages ni des inconvénients. " La seule vertu de l'évolution, c'est d'être là " : elle crée du viable, mais jamais sans prix. Un gène manquant entraîne le vieillissement prématuré extraordinaire de certaines souris qui, en revanche, n'ont pas de cancer. Une autre anomalie génétique retarde considérablement le vieillissement du petit ver ou de la drosophile, mais les sujets sont stériles. Apparemment, mourir plus jeune est le prix à payer pour la robustesse et la procréation. Ce qui est avantage pour l'espèce peut être inconvénient pour l'individu, et, inversement, ce qui favorise l'individu peut compromettre la survie de l'espèce. On n'a rien sans rien.

Cette loi de l'évolution se retrouve à l'échelle même de la cellule. Il n'existe pas de symétrie entre la cellule-mère et la cellule-fille : la fille n'est pas en tout point semblable à la mère, contrairement à ce qu'on a cru. Même dans une cellule, il y a vieillissement et mort, la mère vieillit et meurt au bout de quelques divisions. On ne peut fabriquer du neuf sans prix, tout vivant disparaît pour la survie de l'espèce.

 

DÉBAT

Une intervention a souligné qu'on pouvait tracer une analogie entre la chimie et la biologie. Dans les deux cas, tout se passe comme si créer de l'ordre ici revenait à ajouter du désordre ailleurs.

D'autres intervenants ont insisté sur les possibilités de destructions directes de la cellule, indépendamment du suicide cellulaire proprement dit : bain d'acide, brûlure, écrasement, " momification " réalisée par les laboratoires d'analyses. On a également demandé s'il existait une mort naturelle des cellules, différente de la destruction directe et de l'autodestruction. La question ne semble pas, à ce jour, posséder de réponse définitive. L'autodestruction et la mort naturelle se confondent peut-être en dernier ressort. Les liens entre le vieillissement cellulaire et le suicide cellulaire sont complexes et encore mal compris.

On a insisté à nouveau sur les causes du suicide. Le suicide peut venir de la " solitude " : absence totale de signaux ; de signaux comportant des injonctions de mourir ; ou de l'absence de signaux ordonnant de survivre.

Les dernières questions ont porté sur les difficultés matérielles et sociologiques de la recherche scientifique. De fait, il n'y a pas de recherche frontale en science : il faut chercher là où il n'y a pas de rapport direct avec le problème, mais cela entraîne malheureusement un manque de crédit ! La recherche vit dans un paradoxe permanent. On ne s'intéresse pas à la drosophile, alors qu'étudier la drosophile va peut-être contribuer à résoudre les problèmes du cancer... De même, qui sait si l'étude du petit ver ne permettrait pas de résoudre la question de la maladie d'Alzheimer... La société devrait traiter toute recherche avec considération. Cette remarque rejoignait le débat lancé dans la salle avant le début de la conférence et permettait ainsi d'insister une nouvelle fois sur le rôle essentiel de la Culture dans la formation et la vie de tout adulte, si celui-ci veut pouvoir se conduire en être responsable de ses choix et de ses décisions. Qu'il soit chercheur, comme cela venait de nous l'être démontré au cours de cette conférence, ou simple citoyen dans une démocratie.

Luc Paul Roche

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Philippe Sollers. Journal du mois. Journal du dimanche, 28/12/2003.

Cellules

Notre corps nous est inconnu, nous sommes embarqués avec lui dans une drôle de navigation à travers le temps. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le très beau livre de JC Ameisen, La sculpture du vivant, Le suicide cellulaire ou la mort créatrice republié en poche récemment. Oui, lecteur, lectrice, chaque jour, plusieurs dizaines de milliards de vos cellules s’autodétruisent, et sont remplacées par des cellules nouvelles. A tout moment vous mourez, à tout moment vous renaissez. « Pour chacune de nos cellules, vivre, c’est avoir réussi à empêcher, pour un temps, le suicide. »

Un peu de vertige, donc, en plein océan : « Plus de 99% des espèces apparues depuis 4 milliards d’années se sont probablement à jamais éteintes. Le monde chatoyant qui nous entoure est un monde de rescapés. » Ce suicide cellulaire, constant, devrait transformer notre vision des choses et de nous-mêmes : naissance, vieillissement, vie, mort, tout ce drame change de sens. Aimez-vous comme un rescapé, et ne détestez pas vos compagnons de naufrage. (…)

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Revue française de psychosomatique 2003 - N° 23 p. 181-90. PUF

La sculpture du vivant         
Le suicide cellulaire ou la mort créatrice
   
de Jean-Claude Ameisen*

 

 

En fin de volume, en introduction à la bibliographie, l'auteur indique qu'il a tenté de «présenter et de discuter dans un langage délibérément simple et dépourvu de termes techniques, des concepts, des résultats et des approches expérimentales d'une grande complexité, des relations qui peuvent exister entre des domaines très spécialisés et à première vue très différents, de la biologie et de la médecine». Placée en préambule à la lecture de l'ouvrage, une adresse aussi modeste aurait exposé le lecteur à un saisissement que rien ne lui aurait laissé prévoir. Dès les premières pages en effet, on se trouve plongé dans un ouvrage qui tient autant d'un thriller moléculaire que de la meilleure littérature fantastique, d'une veine philosophique et poétique incomparable, celle qui nous fait rêver et réfléchir. Ainsi, le discours savant s'efface-t-il au profit d'un sentiment de familiarité face aux expériences, aux découvertes et aux résultats les plus pointus de la biologie de ces dix dernières années. Allant d'étonne­ment en étonnement, on remarquera que les phrases mises en exergue aux chapitres et sous-chapitres appartiennent plus souvent aux poètes, aux philosophes, aux écrivains qu'aux scientifiques, annonçant et condensant très précisément ce que l'auteur mettra un chapitre entier à nous faire entendre par les chemins de la rationalité.

 

DU BON USAGE DES MÉTAPHORES

 

Telle une mise en abîme, la construction même du livre, à l'image du buisson du vivant, croît du plus élémentaire des constituants unicellu­laires, jusqu'à l'arborescence multicellulaire la plus complexe et la plus diversifiée, comparable à la canopée tropicale au sommet de laquelle émergeraient les incarnations de l'espèce humaine (cellulaire, indivi­duelle et sociétale), et de toutes les formes actuelles du monde animal et végétal, «terrasse» du haut de laquelle s'offre au regard une perspective infinie en plongée. Il reste néanmoins accessible aux profanes par la liai­son constante qu'exerce l'auteur avec les affects et l'imagination du lec­teur et du fait de la richesse et de la diversité des variantes métaphoriques qu'il propose, au-delà du modèle «local» et de ses limites, pour un élargissement du champ de la pensée vers le monde sen­sible de l'imagination créatrice.

 

L'ÉVOLUTION N'EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE...

 

L'immensité temporelle à travers laquelle ces événements se déroulent (quatre milliards d'années) pourrait laisser imaginer un écoulement majestueux, lent et régulier des complexifications successives du vivant depuis l'apparition des premières bactéries. Or, la fréquence lexicale dans le texte, des termes : brutal, brutaux, brutalité, brutalement, — de une à quatre apparitions dans de nombreuses pages — pour spécifier la façon dont un changement s'est opéré, est là pour nous ôter cette illu­sion. Renvoyant dos à dos les deux courants de pensée dits «gradualiste» — entre les tenants d'un continuum évolutif par sélection des formes effi­caces les mieux adaptées pour survivre et transmettre leurs gènes — et «ponctualiste» — les tenants d'une évolution procédant par bonds —, au profit d'une intrication et d'un enlacement permanents des deux modèles évolutifs, J.-C. Ameisen bouscule au passage nombre de théories et d'idées tenues pour acquises devenues des idées reçues, enfin muées en dogmes faisant souvent obstacle à l'imagination d'autres scénarios sur une autre scène. Aussi l'auteur nous convie-t-il à des «expériences en pensée» qui, remettant au travail des idées pourtant bien établies, procèdent par retournement de la question selon des procédures que ne désavouerait pas Conan Doyle... Décryptant la fréquence et les raisons pour lesquelles nombre de résultats déjà présents de longue date étaient laissés de côté ou oubliés, ininterprétables faute de pouvoir en déchiffrer le sens, réponses prématurées à une question qui n'avait pas encore été posée, il illustre aussi magnifiquement la façon dont procède l'esprit scientifique et dont les découvertes — bien souvent des redécouvertes — en latence cheminent dans la discontinuité et la pensée associative tout autant que dans la logique.

 

UNE APPROCHE INTIMISTE

 

Ce n'est pas la moindre des originalités, ni le moindre des mérites de La sculpture du vivant que de nous rendre des organismes uni- ou mul­ti-cellulaires des modèles expérimentaux aussi proches que des animaux de compagnie en personnalisant bactéries, gènes et protéines désignées par leur nom de code qui résonne de manière étrangement intime, de mettre en scène et dramatiser les stratégies stupéfiantes de l'adaptation et les combats sans merci qui se jouent entre les cellules, au point de nous faire éprouver un pincement au cœur à l'évocation du «chant de mort» qui déclenchera le suicide d'une cellule, et ses «rites funéraires» (cannibaliques: elle sert de nutriment à ses compagnes), phénomène assez rare dans les publications scientifiques pour être salué, qui vous laisse l'impression d'une expérience que nous aurions personnellement vécue.

 

LA MORT AU CŒUR DU VIVANT

 

C’est lorsque l’usage du microscope commença à se répandre, il y a environ cent cinquante ans, que s’imposa la théorie selon laquelle tous les corps vivants étaient composés de cellules et l’idée que chaque cellule ne pouvait avoir pour origine qu’une autre cellule. Dès cette période furent observés des phénomènes de mort cellulaire au cours du développement de l’embryon qui apparurent comme une aberration, un défi contraire à toute tentative de représentation rationnelle des modalités de construction d'un corps, le modèle du développement embryonnaire apparaissant jusqu'alors comme un phénomène de pure expansion. Considérés comme déroutants et inexplicables, voire anecdotiques, ces phénomènes furent décrits puis oubliés, de manière itérative. Près de cent ans plus tard, en 1966, l'embryologiste John Saunders reprit cette thèse dans une synthèse de ses travaux. Réinterrogeant l'incongruité apparente de cette dilapidation dans la mort cellulaire, des ressources d'énergie et d'informations laborieusement acquises à partir d'un état initial moins ordonné, il apparut à la lumière de nombreuses expériences que les épisodes massifs de mort cellulaire étaient universels et surve­naient dans tous les embryons de toutes les espèces vivantes. L'idée para­doxale que la mort cellulaire pouvait être une composante à part entière du développement commença à faire son chemin. De nombreuses ques­tions allaient s'ensuivre quant à sa raison d'être, son rôle, sa fonction, sa cause et la nature des mécanismes qui la déclenchent. Le concept de mort cellulaire programmée apparut pour la première fois en 1963 dans la thèse d'un biologiste de l'université de Harvard décrivant la métamor­phose du ver à soie. Mais la notion de programme en biologie — étymo­logiquement signifiant pré-écrit — se révéla être une notion ambiguë, favorisant implicitement une confusion entre la nature des informations contenues (pré-inscrites) dans nos gènes et l'ensemble des interactions qui déterminent la manière dont nos cellules consultent et utilisent ces informations. «C'est un programme qui a besoin [des produits] de sa lecture et de son exécution [...] pour pouvoir être lu et exécuté» comme l'avait souligné Henri Atlan à la fin des années 1970. Ainsi à la faveur de nombreuses observations et d'expériences menées sur des organismes multicellulaires (métamorphoses de la chenille en papillon, ou la trans­formation du têtard en grenouille par exemple) s'imposa l'idée que ce qui est programmé au cours du développement n'est pas la prédétermination du destin individuel de chaque cellule, mais la propension d'une popu­lation cellulaire à mourir à un endroit et un moment précis, en réponse à un signal donné. Restaient à identifier la nature et les mécanismes selon lesquels ce signal s'exprime et se transmet, et les conditions com­plexes du passage du déclenchement de la sentence à son exécution. Après la mise en question de la notion de programme en biologie, évo­luant vers une notion d'auto-reprogrammation continue, la notion de «suicide» cellulaire se trouva elle aussi interrogée, impliquant de manière illusoire l'idée d'une décision, d'un « choix » qu'aurait la cellule de vivre ou de mourir, comme la disposition d'un degré de liberté. Mais il allait apparaître que dans le modèle multicellulaire choisi pour sa simplicité génétique et celle de la démonstration expérimentale, comme dans tous les autres organismes multicellulaires à des degrés divers de com­plexité, le phénomène se révélait universel et que le mécanisme déclen­cheur de la mort cellulaire était lié à l'émission de signaux interactifs, dans le modèle élémentaire, de trois protéines issues de trois gènes, dont l'une avait une fonction d'exécuteur ne pouvant agir seul, la deuxième de protecteur réprimant le suicide, la troisième d'activateur de l'exécuteur. Apparaissait aussi un univers vertigineux où le déclenchement ou la répression du «suicide» cellulaire étaient totalement subordonnés aux interactions intervenant entre des populations entières de cellules, elles-­mêmes complètement dépendantes de la collectivité cellulaire, capables d'échanger des signaux issus de dédoublements en dédoublements, depuis la nuit des temps, de copies de gènes imperceptiblement différents les uns des autres et capables de produire des protéines exerçant des effets synergiques ou antagonistes les unes sur les autres, avec une richesse combinatoire quasi infinie. Plus passionnant et plus intrigant encore que le problème de l'origine de la vie, se posa alors celui de l'ori­gine de la mort, mobilisant nombre de chercheurs biologistes, en raison des perspectives thérapeutiques qu'ouvrirait la compréhension du mécanisme de son apparition, et évidemment de son contrôle. De nombreuses hypothèses auront été passées en revue : celle de la «nécessité» de la mort, de son utilité, de son «rôle» ou sa «fonction», pour aboutir en dernière analyse à la conviction que ce sont, là encore, des notions illusoires. Illusion encore que la notion de fonction en biologie, suggérant un but, un finalisme, hypothèses prêtant une intentionnalité et un sens à la matière là où il n'y en a pas, et ne renseignant en rien sur la question de son origine. Seul un changement de perspective pouvait permettre d'identifier la nature de cette caractéristique biologique en tentant d'en localiser l'apparition. Nous voilà dès lors embarqués avec l'auteur pour un saut dans le temps de quelque quatre milliards d'années à la recherche du miroir où se refléterait la première apparition du visage de la mort cellulaire, et plus vertigineuse encore, à la rencontre du visage de la Mort tout court. Longtemps ce voyage s'était interrompu à un milliard d'années, non par une limitation technique mais en raison du moment approximatif de l'apparition des premiers organismes multicellulaires, et butait sur une idée «logique» devenue un dogme : la mort cellulaire ne pouvait pas avoir été antérieure, pour une raison paraissant aller de soi. Si les organismes unicellulaires s'étaient autodétruits ainsi que toute leur descendance, la complexité des multicellulaires n'aurait pu s'organiser et ils n'auraient jamais existé. Or il n'en était rien. Comme l'expérience et 'observation des séparations des levures unicellulaires en bourgeons mères-filles dissymétriques qui n'avaient encore été ni pensées ni envi­sagées le montrèrent, les unicellulaires mouraient et l'illusion de l'éter­nelle jeunesse et fécondité , des organismes unicellulaires censés se dédoubler et vivre à l'infini s'effondra. Il en découla l'idée que la mort cellulaire, détectable et présente simultanément dès l'apparition des pre­mières formes élémentaires de la vie, devait en constituer un élément contingent à part entière, indissociable organisateur et sculpteur de toutes les formes d'incarnation possibles que celle-ci pourrait prendre, des corps unicellulaires aux organismes les plus complexes, depuis les embryons jusqu'aux individus adultes. La mort à la fois créatrice et gar­dienne de la vie...

 

MÉMOIRE ET IDENTITÉ

 

C'est l'étude de la manière dont se construisent les deux systèmes les plus complexes de notre corps, le cerveau et le système immunitaire, qui devait révéler la nature étrange des programmes de mort cellulaire, et la puissance que leur confère le contrôle des signaux qu'échangent nos cel­lules. Dans ces deux organes ayant en apparence peu de choses en commun (J.-C. Ameisen parle du système immunitaire en terme d'organe), la mort cellulaire apparaît comme un processus d'apprentissage et d'auto­organisation dont l'aboutissement ne se limite pas à la construction d'une architecture ni à la sculpture d'une forme, mais à l'élaboration des sup­ports de la mémoire et de l'identité du soi (immunitaire). À des niveaux de complexité différents, le cerveau et le système immunitaire possèdent pourtant en commun la propriété d'«assurer la pérennité de notre iden­tité singulière [...] en construisant en nous une mémoire qui transfor­mera la suite innombrable des événements aléatoires que nous vivons, en une histoire, notre histoire, nous permettant de déchiffrer le présent et de nous projeter dans l'avenir à la lumière d'un passé sans cesse recom­posé». Les questions soulevées par la mémoire et la reconnaissance du soi et du non-soi ont pu suggérer implicitement une forme de «re-connais­sance» d'un univers extérieur pourtant jamais rencontré auparavant, lorsqu'il y sera confronté pour la première fois par l'intermédiaire des cellules sentinelles, sorte de pré-science paradoxale du système immuni­taire. La notion d'une mémoire de ce qui n'a jamais existé relève, elle aussi, d'une pure illusion. L'apprentissage subi par le système immuni­taire pendant le développement embryonnaire et au-delà ayant engendré et inscrit une mémoire du soi, l'empreinte qui constitue notre signature individuelle, l'identité immunitaire de chacun d'entre nous, son «bruit de fond» que J.-C. Ameisen compare à une ligne mélodique du soi, est unique. A l'intérieur de cette ligne mélodique, ce sont les «fausses notes», les intrus non identifiables qui mettent le système en alerte et déclenchent la guerre.

Passant de l'embryon à l'adulte, l'auteur nous amène vers une nou­velle vision de la complexité, dans laquelle est mis à mal le sentiment de l'immuabilité de notre corps, lui aussi illusoire. Chacun de nous est un fleuve tumultueux où la succession effrénée des destructions et réorga­nisations régulatrices restent discrètes, inapparentes, ne causant aucune lésion. C'est la métaphore de la Reine Rouge d'Alice au Pays des mer­veilles, un monde dans lequel il faut courir comme des fous et de toutes ses forces pour pouvoir seulement rester à la même place : assurer la continuité et rester présent. Là aussi et tout au long du livre, vie et mort s'enroulent, emmêlées, comme deux bras d'un même fleuve.

 

L'ENVIRONNEMENT ET L'ÉVOLUTION DU VIVANT

 

L'influence exercée par les modifications de l'environnement ajoute un degré supplémentaire de complexité aux modalités de construction des corps et à l'apparition de la nouveauté. La théorie des «équilibres ponc­tués» reprise dans les années 1970 par Stephen Jay Gould postule que la survenue de changements brusques de l'environnement peut favoriser par hasard la pérennité et la propagation d'individus minoritaires chez les­quels ont surgi des modifications génétiques importantes. L'explosion apparemment brutale de multiples variantes de construction de corps nouveaux et d'espèces nouvelles comme le suggère l'étude des fossiles d'il y a environ cinq cents millions d'années est un des éléments qui étaye cette théorie. Le débat de fond entre les théories gradualiste et ponctua­liste ne concerne pas la manière dont l'environnement sculpte la nou­veauté (tous sont d'accord sur son principe), mais porte sur la nature des modifications sur lesquelles il exerce ses effets: accumulation progressive de mutations minimes dont aucune à elle seule ne peut avoir de consé­quences majeures, ou survenue soudaine de modifications génétiques dont les conséquences immédiates peuvent être majeures. L'environnement est plus qu'un simple filtre à travers lequel seraient sélectionnés ou éliminés les individus et les espèces. C'est à la fin de l'année 1998 que deux biolo­gistes de l'université de Chicago, Suzanne Rutherford et Susan Lindquist, révélèrent que les modifications soudaines de l'environnement pouvaient avoir des conséquences spectaculaires jusque-là insoupçonnées, à l'issue d'expériences aux implications stupéfiantes sur les drosophiles. Elles ont montré que lorsque leurs embryons sont exposés à des variations brutales de température (une dizaine de degrés en plus ou en moins), des chocs thermiques, les nouveau-nés présentent des modifications importantes de toute une série d'organes : antennes, ailes, yeux, pattes surnuméraires ou absents, ou de couleur inhabituelle. Or l'apparition de ces nouveautés s'est révélée ne pas être liée à des mutations génétiques provoquées par l'environnement extérieur, mais à la révélation d'une diversité génétique préexistante, jusque-là réprimée en permanence. Que nous apprennent de telles expériences ? Que la forme et donc le devenir des protéines ne sont ni préécrits ni prédéterminés mais qu'ils dépendent de la présence d'autres protéines résistant ou non aux variations de l'environnement. Les modifi­cations brutales de l'environnement ont le pouvoir de révéler dans le soma, des potentialités préexistantes de nouveauté, potentialités jusque-là réprimées ou, pourrait-on dire... latentes? qui peuvent soudain à cette occasion et pour la première fois se manifester. La tentation est grande d'effectuer un rapprochement entre ces découvertes et les observations de la clinique psychosomatique... Et de souligner que pour l'être humain doué d'une vie psychique et d'affects, l'environnement dans son sens le plus extensif, incluant l'espace interne, c'est son histoire... Les «chocs» psychiques déclencheurs de «nouveauté», révélateurs de potentialités jusque-là réprimées ou latentes, ne sont pas sans évoquer aussi bien les stades précliniques de certaines affections, que la notion des deuils non élaborés et des désorganisations progressives, comme derniers oncogènes.

 

AVANT DE COMMENCER

 

C'est sous ce titre que dans la dernière partie de l'ouvrage de J.C. Ameisen dessine des perspectives et aborde une réflexion sur le vieillissement cellulaire, les maladies neuro-dégénératives, les cancers, la longévité maximale et la «mort avant l'heure», envisagés sous un angle nouveau. Là encore, les expériences de laboratoire, les observations et réflexions des chercheurs ont abouti à une remise en cause d'un certain nombre de dogmes. Certaines grandes théories du vieillissement se sont longtemps référées à un principe général de la science: l'augmentation d'entropie. Phénomènes comparables à l'érosion des falaises par le vent, le vieillissement et la mort résulteraient par usure, des agressions de l'en­vironnement. Mais les nouvelles frontières de la biologie ont permis de mettre en évidence le caractère autodestructeur du système du fait de l'ac­tivité elle-même des cellules, dédoublements cellulaires avec fautes de copies cumulées qui ne peuvent plus être corrigées, production de toxines liées à l'oxygénation de la respiration cellulaire, altérations mineures et aléatoires des gènes codant pour les protéines déclenchant les signaux de répression ou d'activation de «l'apoptose» — ainsi nommée par analogie avec la chute programmée des feuilles à l'automne-, et maints autres mécanismes complexes. Il montre, à propos des maladies neuro-dégénératives, maladie d'Alzheimer et de Parkinson, et du développement des cancers, qui à première vue n'ont rien de commun, qu'elles sont néan­moins engendrées (schématiquement) par les anomalies du contrôle de la mort cellulaire programmée. Les premières par des altérations minimes de la partie des gènes codant les signaux réprimant le suicide cellulaire, ayant pour conséquence la destruction de régions entières de populations neuronales. Les secondes, les tumeurs cancéreuses, en raison des anoma­lies des signaux activateurs ou exécuteurs du suicide cellulaire, ce qui les livre à un dédoublement infini et incontrôlable. Parallèlement aux pers­pectives prometteuses ouvertes par la connaissance progressive de ces mécanismes de vie et de mort programmée, de thérapies géniques suscep­tibles dans un avenir proche d'en contrôler les signaux, le dogme d'un cerveau condamné à vieillir s'est trouvé lui aussi ébranlé par la décou­verte dans des conditions expérimentales laissant peu de place au doute, de la présence de cellules souches dans le cerveau humain adulte, capables de donner naissance à de nouveaux neurones. A la fin de l'année 1998 a été mise en évidence l'existence chez des hommes adultes dans certaines régions du cerveau, d'épisodes peu fréquents mais réguliers de naissance de neurones, dont l'auteur ne croit pas qu'ils soient des exceptions, ce dont pourrait paradoxalement témoigner l'altération de la mémoire immé­diate dans la maladie d'Alzheimer, les neurones nouveau-nés, vierges, ne possédant pas les instructions leur permettant d'inscrire les événements récents. Ainsi est apparue la notion de plasticité du cerveau, et d'une pos­sible réparation neuronale repoussant les frontières « naturelles » de sa conservation, de sa longévité et de notre mort... «après l'heure».

Loin du piège des métaphores analogiques trompeuses, on ne peut manquer d'être impressionné par la validation que les nouvelles tech­niques d'imagerie du cerveau en activité ne cessent d'apporter aux incroyables intuitions de la métapsychologie freudienne. Grâce aux explorations par caméra à positons, les plus récents travaux des neuro­biologistes ont montré lors de l'exécution d'un mouvement sur com­mande que les mêmes réseaux neuronaux des régions motrices concernées se trouvaient activés avec une intensité presque égale quand est donnée au sujet une consigne d'immobilité et de substituer à l'acte sa représentation. Ainsi, la cartographie de leur traduction somatique objective sans l'ombre d'un doute le caractère créateur des représenta­tions aussi bien que de la satisfaction hallucinatoire du désir, non seulement (de notre point de vue) dans la constitution et l'organisation de la vie psychique mais, selon une forte probabilité, également dans la sculp­ture de la plasticité neuronale et le fonctionnement cérébral dans son ensemble. Sous-stimulés, vides de représentations, privés de l'informa­tion des influx nerveux ayant valeur de signaux de survie, les réseaux neuronaux concernés seraient voués à une forme d'«agénésie», de dépé­rissement par défaut, ou appelés à disparaître.

 

CONTINUER LE VOYAGE

 

Dans les strictes limites d'une note de lecture, on ne peut qu'évoquer de façon partielle et superficielle l'apport incomparable de ce nouveau Livre de la genèse et de la saga du vivant. Les horizons vertigineux et presque illimités que nous dévoile l'auteur ne peuvent qu'exciter davantage encore la curiosité du lecteur et stimuler la réflexion de tous ceux que passionnent les mystères des (im)pulsions de vie et de mort et le(s) destin(s) du soma, et de tous ceux aussi qui, sans pour autant aspi­rer à l'immortalité, n'en espèrent pas moins vivre « jeunes » en leur état optimal de fonctionnement jusqu'au bout de leur voyage dans le temps.

 

Hélène Goutal-Valière

 

 

*Ameisen J-C. (2002), La sculpture du vivant, Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, Paris, Seuil.

Jean-Claude Ameisen est médecin et chercheur, professeur d'immunologie à Paris 7 et au CHU Bichat, directeur de l'unité de recherche E9922 de l’Inserm

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 GRIT Transversales 11/02/05

La mort au coeur de la vie

La sculpture du vivant, Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, Jean-Claude Ameisen, Points, 2003


- La science et la mort         

Si les sciences, comme langage universel, remplissent une des anciennes fonctions des religions qui est de servir de référence commune, il semblait du moins que la science en général, et la biologie en particulier, n'avaient rien à nous dire sur la mort, rejetée dans le néant, hors de son domaine et laissée aux religions pour nous en consoler. C'est l'exploit de Jean-Claude Ameisen, d'avoir fait entrer la mort en science d'une façon qui non seulement évite la plupart du temps les dérives habituelles de ce type d'exercice, mais qui change véritablement notre perception de la vie et de la mort. Ce n'est pas rien.           

"La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". Ainsi débutaient les "Recherches physiologiques" de Bichat en 1800. En termes plus physiques Schrödinger caractérisera la vie en 1944 par son entropie négative (néguentropie), c'est-à-dire sa capacité à résister à la désorganisation. A partir de là, on pourrait penser qu'on n'a plus qu'à rejeter le plus loin de nous la mort et l'entropie pour s'occuper du sens de la vie elle-même dans sa positivité, détachée de ce qui la menace et dont elle se prémunit. Vivre, ce serait oublier la mort et nos échecs passés, une pensée positive sans négatif, mais c'est une vie désincarnée, idéalisée et qui semble bien arbitraire, autant dans son déploiement que dans sa fin tragique imméritée. Ce livre extraordinaire montre au contraire la présence de la mort au coeur même de la vie, de la construction de l'embryon jusqu'à la vieillesse. On y découvre très concrètement cette intrication de la vie et de la mort, cette mort vivante sans cesse à l'oeuvre qui trace nos contours, dessine nos destins et signe notre appartenance à une communauté et une histoire qui nous dépassent et dont nous sommes de simples témoins de passage.

On n'arrête jamais de mourir. La mort ce n'est pas la faute du sexe, comme on a pu le croire, les bactéries ne sont pas immortelles, elles ne se divisent pas indéfiniment mais enfantent (bourgeonnent), vieillissent et meurent. La mort c'est la vie tout simplement. Mais la mort de qui, la mort de quoi ? Telle est la question de la reproduction et de l'évolution. La question de la vie devient celle de sa transmission plus que de sa durée, où la communication et la reproduction tendent à devenir plus décisives que les ressources physiques pourtant déterminantes en dernière instance. Ce que nous dévoile enfin ce livre sans le dire vraiment, c'est que la mort c'est l'information, car c'est en réponse à des informations (des hormones) ou bien à l'absence de toute communication, et non à cause de la violence des agressions extérieures, qu'un processus de dégénérescence se déclenche activement pour causer la mort. La mort participe plutôt d'une forme d'apprentissage (apprendre c'est éliminer) ainsi que du désapprentissage périodique lié à toute adaptation (nécessaire "rafraîchissement" de l'information). Du coup la vie elle-même est entièrement dépendante de l'information et ne se réduit donc absolument pas à un processus physique, un automate biochimique encore moins une "structure dissipative". La mort qui nous habite c'est la présence des autres et de l'extériorité au plus intime de notre être singulier. Nos corps sont colonisés par l'ennemi depuis toujours et nous sommes à la merci d'un regard qui nous transperce le coeur.  

- La mort vivante (extraits) 

De même qu'il faut se servir de l'entropie (de l'énergie) dans la lutte contre l'entropie, la vie se débat perpétuellement entre exécuteurs et protecteurs, sculptée intimement par une mort sans laquelle elle ne pourrait pas vivre. Une des meilleures illustrations du rôle du suicide cellulaire dans la sculpture de l'embryon, dès les débuts de la vie donc, c'est la disparition des palmes pour avoir des doigts, puisque l'embryon a d'abord des mains palmées. La mort ici ne doit rien aux blessures du temps. On connaissait déjà le mécanisme de l'apoptose, du suicide cellulaire (dont le dérèglement caractérise le cancer), et la nécessité pour un neurone d'être relié aux autres pour y résister, mais cela se révèle un phénomène beaucoup plus général, présent chez les bactéries déjà, inhérent aux équilibres écologiques. Il n'y a pas de vivant isolé et qui ne soit en communication constante et vitale avec son environnement. Pour vivre, on a besoin d'un environnement qui ne soit pas trop défavorable mais surtout on a besoin de signaux d'encouragements pour ne pas mourir. Loin d'une supposée lutte à mort des dominants qui déciderait des survivants, c'est une mort intérieure qui nous ronge, un appel à l'aide originaire, une exigence de reconnaissance, une dépendance sociale primordiale. "A la base de chaque être, il existe un principe d'insuffisance" disait Georges Bataille dans son "Principe d'incomplétude". L'élan vital ne se fonde pas sur soi-même mais sur l'interaction avec les autres. On ne s'en aperçoit pas, sans doute, tant qu'on n'est pas exclu et rejeté de l'échange mais c'est le désir de l'autre qui nous fait vivre et nous sauve du suicide, jours après jours jusqu'à la fin.

On a longtemps pensé que la disparition de nos cellules — comme notre propre disparition, en tant qu'individu — ne pouvait résulter que d'accidents et de destructions, d'une incapacité fondamentale à résister à l'usure, au passage du temps et aux agressions permanentes de l'environnement.          

Mais nous savons aujourd'hui que la réalité est de nature plus complexe. Une vision radicalement nouvelle de la mort s'est révélée comme un mystère au coeur du vivant.    

Aujourd'hui, nous savons que toutes nos cellules possèdent le pouvoir, à tout moment, de s'autodétruire en quelques heures. C'est à partir d'informations contenues dans leurs gènes — dans nos gènes — que nos cellules fabriquent en permanence les "exécuteurs" capables de précipiter leur fin, et les "protecteurs" capables de les neutraliser. Et la survie de chacune de nos cellules dépend, jour après jour, de sa capacité à percevoir dans l'environnement de notre corps les signaux émis par d'autres cellules, qui, seuls, lui permettent de réprimer le déclenchement de son autodestruction.       

Ces notions nouvelles ont commencé à transformer la notion même de vie. D'une manière troublante, contre-intuitive, paradoxale, un événement perçu jusqu'ici comme positif — la vie — semble résulter de la négation d'un événement négatif — l'autodestruction. Et un événement perçu jusque-là comme individuel, la vie, semble nécessiter la présence continuelle des autres — ne pouvoir être conçue que comme une aventure collective.

Contrairement au caractère anarchique et cataclysmique de la nécrose, l'apoptose se déroule d'une manière étrangement discrète et stéréotypée. Alors que la nécrose donne l'image d'un phénomène d'explosion, l'apoptose ressemble à un phénomène d'implosion. La cellule qui déclenche son suicide commence tout d'abord par couper tout contact avec son environnement. Comme un animal en train de mourir, la cellule se détache et s'écarte des cellules voisines. puis elle se morcelle de manière ordonnée : elle condense, puis fragmente son noyau, découpant en petits morceaux l'ensemble de la bibliothèque de ses gènes. Dans le même temps, le corps cellulaire se condense, lui aussi, puis se fragmente en petits ballonnets, les "corps apoptotiques". La membrane externe de la cellule se modifie, prend un aspect bouillonnant, mais reste intacte, empêchant la libération à l'extérieur des enzymes qu'elle contient, évitant toute destruction environnante. Cette mort rapide, solitaire et sans fracas, n'entraîne habituellement ni lésion, ni inflammation, ni cicatrisation. Les cellules environnantes comblent l'espace laissé libre par les morts. Bientôt, il ne reste plus aucune trace du travail rapide et discret de l'autodestruction.         

Alors qu'elle est en train de mourir, la cellule qui s'auto-détruit s'adresse aux cellules qui l'entourent [...] C'est parce que la mort cellulaire est un suicide — un phénomène actif d'autodestruction — et non le résultat d'un meurtre brutal ou d'une paralysie, qu'elle peut s'accompagner d'un discours, de l'émission de signaux et de messages, et ne se déroule pas dans un silence total ou dans un brouhaha indistinct, un fracas. Les signaux qu'émettent les cellules mourantes dans le langage des vivants peuvent modifier les propriétés des cellules voisines [...] Mais il est d'autres messages, très particuliers, qu'adresse toute cellule en train de s'autodétruire. Ces messages sont émis dans le langage des mourants, et portent la signature de la mort. Ces messages s'apparentent à une demande de sépulture. Dans l'embryon en train de se construire, le développement ne met pas uniquement en place les éléments permettant de prononcer une sentence de mort et de l'exécuter ; il permet aussi l'établissement de rites funéraires complexes. Il n'y a pas dans l'embryon, de cadavres cellulaires.       

Il semble que chaque cellule vivante affiche, en permanence, à sa surface, un signal. Ce signal de vie aurait pour effet de permettre à chaque cellule vivante d'empêcher, à tout instant, qu'une cellule fossoyeuse ne s'ancre à elle, à la recherche de la signature des morts. Et il semble que chaque cellule qui s'engage sur la voie qui mène à l'autodestruction, avant même d'afficher la signature des morts, commencerait par cesser d'afficher la signature des vivants.  

Les signaux qui contrôlent la localisation d'une cellule contrôlent aussi son destin. Mais il y a une dimension plus subtile à ce couplage que la simple obligation faite à une cellule, pour survivre, d'occuper un endroit précis du corps. La vie et la mort d'une cellule dépendent aussi de la surface disponible à laquelle elle peut, à un endroit donné, de fixer. Plus cette surface est réduite — plus la cellule doit adopter une forme sphérique ou cylindrique pour s'y attacher —, plus elle a besoin d'une quantité importante de signaux de survie pour réprimer le déclenchement de son suicide. Plus cette surface est vaste — plus la cellule peut s'étaler pour s'y fixer —, moins elle a besoin de signaux de survie.  

Une infime proportion des nutriments n'est pas ingérée : elle est capturée par des récepteurs de surface qui délivrent un signal à la bactérie. Ainsi chaque nutriment est à la fois utilisé par la bactérie comme un aliment dont elle se nourrit et comme un signal qu'elle transforme en langage. Immergée dans son environnement, en tirant les ressources qui lui permettent de survivre, la bactérie perçoit, à mesure qu'elle les consomme, la quantité des ressources extérieures qui restent disponibles.            

Aucune bactérie ne peut, à elle seule, déclencher en elle-même ou dans ses voisines une réponse drastique aux modifications qu'elle a perçues de son environnement. La décision de s'engager ou non sur le chemin de la différenciation qui peut conduire au suicide collectif sera donc le résultat d'une décision collective. Et cette décision collective résultera d'une consultation "démocratique".   
Comme dans les phénomènes de seuil, la réponse se fait selon une règle de tout ou rien. Ou bien une collectivité suffisamment compacte bascule dans la différenciation, ou bien aucune des cellules ne se différencie, qu'elle qu'ait été la nature de son interprétation individuelle des changements de son environnement.         

Contrairement à la plupart des idées habituelles, réductionnistes, sur les modalités de la vie des bactéries, le comportement d'une colonie ne peut être simplement réduit à la somme des comportements individuels de ses membres. Il s'agit d'un comportement collectif, doté d'une puissance d'adaptation et d'une robustesse sans commune mesure avec celles de chacun de ses membres. Les sociétés bactériennes transforment en langage les signaux qu'elles perçoivent de l'environnement. Et les bactéries dialoguent en permanence.    

Il existe des relations étroites entre les phénomènes qui contrôlent le vieillissement cellulaire et ceux qui participent au contrôle du suicide cellulaire. La fabrication soudaine par un fibroblaste d'une grande quantité de la protéine "Ras" le précipite prématurément dans la vieillesse et la stérilité. Mais elle a aussi pour effet de réprimer le déclenchement du suicide [...] La perte du pouvoir de se dédoubler — l'entrée dans le vieillissement — s'accompagne d'un gain dans la capacité à survivre jusqu'aux limites de la longévité "naturelle" maximale.  

La répression anormale du suicide dans des cellules toujours fécondes favorise le développement de cancers. Au contraire, le déclenchement anormal du suicide dans les neurones du cerveau favorise le développement des maladies neurodégénératives, la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson.          

Ainsi, deux des grandes familles de maladies catastrophiques qui marquent, vers l'âge de soixante ans, l'entrée dans le vieillissement sont liées à la répression anormale du suicide dans certaines familles cellulaires et au déclenchement anormal du suicide dans d'autres.  

La cellule-mère dédouble d'abord la bibliothèque de ses gènes et en répartit les deux exemplaires aux deux extrémités de son corps cellulaire. Mais ce corps cellulaire ne se sépare pas en deux moitiés égales. A une des extrémités du corps de la cellule-mère, une future cellule-fille commence à se développer comme un bourgeon, puis se détache de la cellule-mère. La petite cellule-fille va ensuite progressivement augmenter de volume.           
L'idée est que la victoire du vivant sur l'usure est liée à une accentuation locale de la désorganisation, de l'avancée vers le désordre, dans une partie — la cellule-mère — qui permet de faire naître, dans l'autre partie — la cellule-fille — un niveau local, discret, d'ordre et de complexité. Accélérer la disparition d'un corps maternel pour permettre la naissance et la survie d'un corps d'enfant. Peser sur le caractère inévitable de l'usure, de l'érosion de la matière qui compose le vivant pour en reconstruire une copie nouvelle. Utiliser l'énergie encore présente dans ce qui va disparaître pour construire une incarnation nouvelle.         

Mais là encore, ce qui apparaît comme le plus important, c'est la brisure de symétrie, le fait qu'une cellule se transforme en deux cellules dont l'une est plus stérile, plus "vieille" et l'autre plus féconde et plus "jeune" [...] Il y a, inhérente à cette vision, l'idée que l'économie de l'univers du vivant ne fait pas exception à l'économie de l'univers de la matière dont il est né et auquel il appartient. Tout accroissement local du degré d'organisation et de complexité — toute diminution locale d'entropie — ne peut se faire que dans un contexte de diminution, ailleurs, du degré d'organisation et de complexité — d'augmentation d'entropie.


- Le mécanisme de dépendance (entre exécuteur et protecteur) 

La mise en place de "modules de dépendance" associant un exécuteur et un protecteur est assez étonnante. Leur efficacité est basée sur la menace persistante de l'exécuteur et la nécessité d'obtenir de lui en permanence assez de protecteur, plus éphémère, pour survivre à cette mort qui nous habite. On voit que la symbiose n'est pas une dépendance réciproque aussi idyllique qu'on se l'imagine. C'est un schéma qui évoque plutôt le fonctionnement des mafias ou des toxicomanies mais qui représente le schéma inversé d'une régulation cybernétique associant une boucle de rétroaction positive (une dynamique amplificatrice) avec une boucle de rétroaction négative qui en prend le contrôle, la stabilise et l'asservit à un niveau supérieur, une finalité collective (il y a des valeurs supérieures, ce n'est pas une question de jugement mais de fait : les niveaux supérieurs imposent leurs contraintes, leurs exigences, plus ou moins bien, plus ou moins durement, plus ou moins vite, par l'information, la circulation ou la violence). Dans le mécanisme de dépendance, c'est le négatif (exécuteur) qui assure le dynamisme positif (protecteur), sorte d'irritation provoquée par ce parasitisme. Bien sûr on ne peut mettre sur le même plan, comme dans la fable de Menenius Agrippa, la société et un corps, les hommes et de simples cellules (ni même des abeilles), cela n'empêche pas ces mécanismes de fonctionner de façons plus ou moins impératives ou probabilistes. L'individu moderne a conquis une certaine indépendance qu'il faut encore développer mais qui reste toute relative, il faut en être conscient malgré l'idéologie oedipienne du self made man et du moi autonome.

Nous découvrons des modules exécuteur / protecteur au centre des combats sans merci que se livrent, depuis la nuit des temps, les êtres vivants les plus simples de notre planète. Ces modules constituent les armes d'un combat "égoïste" pour la survie et l'exploitation d'une proie par un prédateur. Mais, de ces combats sans merci, naissent peu à peu des êtres nouveaux, des sociétés symbiotiques à l'échelle d'une seule cellule.      

Et nous entrevoyons ces premières formes ancestrales de modules exécuteurs / protecteur en train de participer à une oeuvre que nous connaissons bien : la construction de nouvelles "sociétés", dont l'interdépendance absolue n'a pour alternative que la mort.

L'efficacité du module de dépendance repose sur un mécanisme d'une merveilleuse simplicité: l'existence d'une différence de stabilité dans le temps entre l'exécuteur — la toxine —, capable de détruire la bactérie, et l'antidote — le protecteur —, capable de neutraliser l'effet de la toxine.          

L'idée est la suivante : chacune de ces étapes essentielles impliquent l'activité d'enzymes "bâtisseurs" capables, chacune, si leur fonctionnement n'est pas étroitement contrôlé, de provoquer à elle seule la destruction de la cellule [...] L'idée est que chacune de ces enzymes "bâtisseurs" est potentiellement un exécuteur. L'idée est que les réseaux de "bâtisseurs" n'ont pu être pérennisés et propagés que s'ils étaient associés à des réseaux d'inhibiteurs — de protecteurs — capables de restreindre ou d'interrompre à temps leur activité. Tout module constitué d'une enzyme puissante — à la fois nécessaire et dangereuse — et d'un inhibiteur — capable d'en limiter, d'en orienter l'activité — préfigure déjà un ancêtre potentiel des modules exécuteurs/protecteurs [...] le pouvoir de s'autodétruire comme prix à payer pour le pouvoir de s'auto-organiser. Ils ont intrinsèquement liés à la nature même de la vie.


- Les mécanismes de défense (sélection naturelle)          
On ne peut tout citer, mais, la construction du système immunitaire dans le thymus est aussi surprenante dans son mécanisme de création de diversité et de sélection pour optimiser la défense du non-soi sans menacer le soi, dans un compromis toujours imparfait. L'élimination des globules blancs qui n'interagissent pas du tout avec les cellules du corps témoigne de ce que le corps étranger qui nous menace n'est pas si étranger que cela. La biosphère a un air de famille et vouloir trop se protéger des autres, par un système immunitaire hyperactif, c'est se détruire soi-même (maladies auto-immunes). Cela veut dire aussi que nous n'aurions aucune défense contre les nouvelles formes de vie synthétique qu'on nous prépare !

Dans le corps de l'embryon en train de se construire, le destin individuel de chaque lymphocyte T — sa survie ou sa mort — dépendra de la nature des interactions de son récepteur avec son environnement. Toute fixation trop intense du récepteur avec le soi présenté par les cellules sentinelles déclenche un signal fort, qui provoque le suicide immédiat du lymphocyte qui le reçoit. Et le lymphocyte disparaît au moment même où il fait la preuve de son caractère dangereux. Inversement, un récepteur totalement incapable d'interagir avec le soi ne pourra transmettre durant trois jours aucun signal au lymphocyte qui le porte. Et l'absence de tout signal, à elle seule, déclenchera le suicide de lymphocyte qui a fait preuve de son incapacité à interagir avec les cellules sentinelles — la preuve de sa probable inutilité future. Ainsi meurent durant leur voyage de trois jours dans le thymus environ 99% des dizaines de milliards de lymphocytes dont les récepteurs ont fait la preuve qu'ils répondent trop bien au soi, ou, au contraire, qu'ils sont totalement incapables d'y répondre. Le thymus est un cimetière où disparaît à jamais la quasi totalité de l'immense diversité des lymphocytes qu'a fait naître l'exploration aléatoire du champ des possibles.

Tout ceci ne rend pas justice au livre qui se lit comme un roman policier et nous fait vivre la passion d'une recherche qui nous tient en haleine, sans cesse relancée de pages en pages, de découvertes en découvertes, complexifiant petit à petit notre compréhension du rôle de la mort dans l'évolution des organismes. C'est certainement un des meilleurs livres d'initiation à la biologie en train de se faire.          

- De la biologie au politique (critique)        

Vouloir tirer des conclusions politiques de la biologie est très dangereux, on l'a vu de Spencer au nazisme. Cela mène à négliger le niveau d'autonomie atteint pas l'individu, à dénier les luttes de classes ou d'intérêts, en ignorant l'histoire, à réduire la parole et le langage à des codes chimiques, à justifier l'ignoble enfin. Ainsi, le néo-libéralisme croit se justifier par l'invocation de l'évolution, qui serait sans projet et qu'il faudrait laisser faire, on ne sait pourquoi, alors que la vie est essentiellement projet (la vision vise sa proie) même si les choses ne se passent jamais tout à fait comme on le voulait. On comprend la nécessité pour les scientifiques de réfuter les interprétations religieuses mais on ne peut éliminer la finalité de la vie pas plus que de l'information. Il faut simplement en avoir une conception plus critique, précise, limitée et "matérialiste", celle d'une régulation cybernétique sélectionnée par ses résultats, d'une finalité apprise (répétition d'un plaisir). Il est très significatif de l'idéologie dominante que l'auteur se sente obligé d'insister sur l'absence de projet d'une évolution, qui n'a rien de linéaire en effet, alors même que tout son effort vise à mettre en relief une sorte de projet sous-jacent au suicide cellulaire (qui certes n'a rien à voir avec un projet divin). On peut dire que dès qu'il y a information, il y a projet c'est-à-dire un résultat extérieur qui est visé, projeté, et qui mobilise les ressources propres pour atteindre cette fin, par tous les moyens (c'est ce qu'on appelle l'équifinalité).      

Il faut s'avancer dans ce domaine avec beaucoup de rigueur et de prudence, plus que dans les toutes dernières pages où l'auteur témoigne de ses scrupules mais ne semble pas comprendre pour autant ce qui différencie si radicalement les niveaux biologiques et humains. Il faut insister, avec Canguilhem, sur le fait qu'un organisme a sa finalité et ses régulations en lui-même alors qu'une société doit se donner finalités et régulations, pris dans une histoire. Il n'y a pas de traduction politique immédiate de notre nature biologique car l'homme s'arrache à l'animalité par le langage et s'avère capable de maîtriser ses instincts par la réflexion et l'apprentissage ou l'habitude. La culture s'oppose à la nature nécessairement pour exister comme culture et cet univers de la parole nous ouvre à une dignité et une liberté supérieures, des savoirs et des techniques qu'on ne saurait réduire au biologique, pas plus que le biologique ne se réduit au physique.       

On ne peut dire pour autant qu'il n'y a aucun rapport entre biologie et société. Politique et sociologie ont malgré tout beaucoup à apprendre de la biologie et de l'éthologie (tout comme de l'ethnologie et de la psychanalyse, entre autres). Théorie des systèmes, cybernétique, cognitivisme, pensée complexe tentent d'incarner cette ambition d'en tirer des modèles opérationnels, en essayant d'éviter les confusions de niveau dont se rend coupable une sociobiologie libérale ou fascisante facilement exterminatrice. S'il est donc intolérable d'imaginer justifier la peine de mort ou même de prétendre simplement accepter la mort au nom de la biologie, du moins on peut en tirer une meilleure compréhension du suicide, qui ne parait plus aussi contradictoire d'être une potentialité préalable (et toujours réprimée). Ainsi, les corrélations établies par Durkheim entre le nombre de suicides et l'anomie sociale entrent en résonances avec notre dépendance originaire envers les autres ou une dynamique supérieure, qui est celle de notre entourage immédiat aussi bien que de l'histoire humaine. La société et l'histoire existent réellement, dynamiques où nous sommes parties prenantes, actifs, réactifs, rétroactifs, opposant notre résistance aux menaces et modifiant l'avenir en corrigeant les dérives du temps pour les générations futures.  

Ce n'est une nouveauté que pour la biologie sans doute, mais il n'est pas inutile qu'elle rappelle à quel point la précarité fait partie intégrante de la vie, notamment de la vie humaine, tout autant que l'amour, ou la reconnaissance, dont nous avons tous besoin et qui nous sauve de la mort vraiment, du moins autant qu'il dure et ne nous a pas rejeté dans le néant.

Pareil à l'expulsion du Jardin d'Eden, l'exil ôtait l'accès à un Arbre de Vie : la présence des autres. Mais il est d'autres variations sur l'exil dont la manifestation contemporaine est l'exclusion à l'intérieur de nos sociétés : l'abandon, la solitude, l'errance, la maladie et la mort de ceux qui sont soudain livrés à eux-mêmes, sont hors du champ des relations d'interdépendance qui unissent les membres de la collectivité qui les entoure et les côtoie.

La précarité — et le sentiment de cette précarité —, la dépendance — et le sentiment de cette dépendance—, ont-ils constitué des composantes déterminantes de l'évolution des cultures humaines ?

 

Jean Zin

 

 

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Forum zazieweb, la communauté des e-lecteurs.

 

La mort cellulaire et la vie

Bien qu’étant de formation strictement non scientifique (hélas !), j’ai toujours été vivement attirée par certains domaines tels que l’astrophysique ou la physique des particules. Sans doute en référence au célèbre questionnement de Pascal sur l’infiniment grand et l’infiniment petit qui avait ouvert des abîmes en moi alors que j’étais presque encore une enfant… : et la chance a voulu qu’un proche lise des livres de vulgarisation scientifique (comme il lisait des partitions d’orchestre, sans formation ad hoc) et me pousse à le faire (livres de science et partitions d’orchestre !), me disant : ne t’arrête surtout pas si tu ne comprends pas (ou pour la musique si tu es un peu perdu) ! Avec cette double idée sous-jacente : 1. les auteurs se répètent en général et formulent différemment les deux ou trois grandes thèses ou théories d’un livre. 2. A force de lire, on finit par s’imprégner et par s’ouvrir à des domaines totalement inconnus. Une variante au fond de l’adage des Shadok : « plus ça rate plus on a de chance que ça réussisse ».    

Mais la biologie ! Pas ou très peu abordée encore ! Aucune formation scolaire, pas de lecture sauf des articles de journal ou bien de quelques revues scientifiques telles Sciences et Avenir ou Science et Vie… autant dire rien. Et toutes ces interrogations contemporaines en ligne de mire, le clonage, les fivettes, les cellules souches… 

Me voilà donc avec "La sculpture du vivant" entre les mains. Un auteur que je ne connais pas encore, Jean-Claude Ameisen. Et tout de suite, une sorte d’empathie totale, une compréhension et une véritable « invitation au voyage » (c’est le titre de l’avant-propos) dans le monde fabuleux de la cellule. Une cellule qui vit mais qui meurt, une cellule dont j’apprends qu’en fait elle est programmée pour se détruire et que si elle ne se détruit pas, c’est qu’elle reçoit des signaux de son environnement qui lui enjoignent de ne pas le faire, de ne pas se suicider. Une cellule que je découvre totalement interdépendante de son monde à elle et de ses sœurs-cellules. Grâce à la prose patiente, narrative, imagée, métaphorique d’un « savant » de très haut niveau qui par passion distille son savoir en un élixir compréhensible par le commun des mortels. Un scientifique qui est un homme de culture, qui recourt à la mythologie et à la philosophie pour éclairer ses propos. Un médecin-biologiste qui est aussi très impliqué dans la recherche d’une éthique de ses manipulations. Et surtout peut-être un homme qui pense la complexité et qui démontre où s’origine la complexité inouïe du monde et des êtres. Qui m’apprend que les frontières sont poreuses entre la vie et la mort, que la mort peut être créatrice, que la « disparition » sculpte le vivant. Ainsi de ma main qui ne serait restée qu’une moufle informe si la mort cellulaire n’était venue, tel le ciseau du sculpteur, enlever de la matière entre mes doigts… Bref, la passionnée de poésie que certains me savent être a largement trouvé son compte dans ce très beau livre. Lu comme un livre de vie, de philosophie, de poésie, de médecine, de science…

Ecrit par : Flote | Publié par : verasoi (24/05/2004)

 


"Défense et illustration" de la métaphore

Figure de style qui sent par trop sa classe de rhétorique, la métaphore n’a pas vraiment bonne figure chez les poètes d’aujourd’hui (cf. "la modernité négative" d’Emmanuel Hocquard. Voir http://www.zazieweb.fr/site/reagir.php?num=49407). Dénigrée, parce que trop lyrique ou ne permettant pas « un démontage concerté du réel », elle est « mise au piquet ». Il faut que j’ouvre "La Sculpture du vivant" de Jean Claude Ameisen, pour que, d’emblée, je sois confrontée à la réhabilitation de la plus ancienne des figures d’analogie. En premier lieu par le titre lui-même. Dans un ouvrage à caractère hautement scientifique ! Voilà qui bouscule les clichés et a de quoi surprendre ! Paradoxe que de constater qu’un grand savant, spécialiste de la « mort cellulaire », est non seulement un érudit mais aussi un poète. Capable de réinventer les vieux mythes fondateurs. Pour notre plus grand plaisir. Et d’établir de multiples réseaux de correspondances entre Ulysse ou Jason et la vie, la survie et la mort de nos propres cellules !

L’étrange sculpture d’Ossip Zadkine, qui, sur la première de couverture, danse sa danse mortuaire (sculpture intitulée « Hommage à Paul Eluard ou le Poète ») m’avait déjà frappée ! Alertée ! J’ai pris longuement cet ouvrage. Je le reprends. Sans me lasser de voir avec quelle aisance le poète-savant jongle avec Rimbaud et Ronsard, Ėpicure et Borges, Aristote et Shakespeare. Et tant d’autres. Ou avec le «De Rerum Natura» de Lucrèce et la « Triple Hélice » de Richard Lewontin, ouvrage consacré à la mystérieuse ADN. « La Triple Hélice », où Lewontin déclare : « Il n’est pas possible de faire de la science sans utiliser un langage empli de métaphores […] mais le prix à payer est une éternelle vigilance. » Selon Jean Claude Ameisen, « tout processus mental est métaphorique ». Le tout est d’en avoir conscience. « Car les métaphores sont éphémères et celles de demain seront plus riches que celles d’aujourd’hui. Il nous faut pour cela comprendre que les grilles de lecture que nous appliquons aujourd’hui ne sont ni meilleures ni pires que celles d’hier. Ou de demain. » Mais elles sont rivales. Il faut pourtant que cessent les sempiternelles rivalités de lecture entre «Anciens et Modernes». S’il est vrai que le regard de l’homme sur les choses et sur son univers change d’une époque à l’autre, reste en permanence le défi d’un idéal d’enrichissement et d’ouverture : celui de parvenir à une superposition de grilles qui conduise à diversifier les angles d’approche. Une diversification dont le prix à payer est le dialogue.

Ecrit par : angèlepaoli | Publié par : verasoi (25/05/2004)

 

Extrait :

Le sourire du Chat du Cheshire. "Il est un passage dans « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll, où Alice rencontre le Chat du Cheshire. Puis le Chat disparaît, mais d’une manière étrange : « Il s’effaça assez lentement, commençant par le bout de sa queue et terminant par le sourire, qui demeura pendant un temps, après que le reste eut disparu. J’ai souvent vu un chat sans sourire, pensa Alice, mais un sourire sans chat !... »        
Ce départ sous la forme d’un effacement progressif de soi ressemble à la manière dont se déroule l’apoptose. La cellule se détache de ses voisines, implose puis se dissout, sur place progressivement. Mais l’analogie entre le suicide cellulaire et le départ du Chat du Cheshire ne s’arrête pas là. Comme demeure un temps dans le paysage le sourire du Chat, il persiste, alors qu’elle disparaît, quelque chose de la cellule qui s’efface. Ce sont des molécules – des signaux – qu’elle libère dans son environnement et d’autres qu’elle fait disparaître à sa surface. Ce sont des phrases qu’elle prononce en mourant." (page 60)

 

Forum Journal Intime. 1/2/2006

Littérature : Livres en cours

 

- Mariem :

La sculpture du vivant: le suicide cellulaire ou la mort créatrice
J.C. Ameisen

 

Génial!!!

 

 

Amazon.fr, présente quelques recensions du livre et le commentaire d’un de ses lecteurs:

Dans la lignée de François Jacob, Richard Dawkins et SJ Gould 15/03/2006
Cette petite merveille synthétise et met à la portée du grand public (niveau 2nde en biologie-chimie) les apports les plus récents de nombreuses disciplines : biologie cellulaire, génétique, embryologie, immunologie, cancérologie, bactériologie, théorie de l’évolution.  
A première vue, l’épaisseur du livre peut effrayer, mais il se lit en fait comme un roman. Le fil conducteur est l’apoptose, ou la mort cellulaire programmée : on apprend comment nos cellules doivent en permanence réfréner leur suicide et comment un dérèglement de cette fonction peut conduire à des malformations, à des maladies neuro-dégénératives (excès) ou au cancer (insuffisance).  
Des comparaisons ingénieuses viennent faciliter la compréhension et la mémorisation des notions ou processus compliqués ; les titres, sous-titres et citations sont extrêmement bien choisis ; enfin, le style, très littéraire, fait que cet ouvrage se lit facilement, avec un réel plaisir.
Vivement recommandé comme «apéritif» pour les élèves de lycée/premier cycle universitaire : depuis un an, j’effectue de constants va-et-vients entre ce livre et mes cours de science. Tantôt, ce que je viens d’étudier me permet de relire un passage avec plus de profit, tantôt c’est ce petit livre qui me permet d’approfondir un point survolé en cours. Presque un livre de chevet.

 

Radio Suisse Romande (RSR)

Une heure d’entretien... Un luxe rare en radio. L’émission reçoit chaque semaine un invité — scientifique, philosophe, historien — qui partagera avec nous son expérience et sa manière de voir le monde. Cette émission est produite par Espace 2.

 

Dimanche 30 mai 2004, Ruth Scheps interviewe Jean-Claude Ameisen, chercheur, professeur d'immunologie, auteur de La Sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, éditions du Seuil 1999, rééd. 2003, coll. Points Sciences     
Prix Jean Rostand MURS-AESF 2000.                 
Prix Biguet de l’Académie française 2000.          

 

 

L’opposition entre la vie et la mort est pour nous si « naturelle » qu’il aura fallu des siècles pour la remettre en question. L’idée que la mort de nos cellules puisse être programmée par l’organisme lui-même et non résulter d’agressions externes, ne s’est imposée que très récemment… Mais elle a tout changé dans nos conceptions de l’apparition de la vie, du développement, des maladies et du vieillissement. Comprendre qu’un embryon est autant dû à une prolifération qu’à une destruction massive de cellules, ou qu’un cancer puisse être causé par l’arrêt des processus de suicide cellulaire, c’est voir le vivant sous un jour nouveau.    

Avec ce livre rare, où l’érudition du biologiste est servie par la plume d’un écrivain, Jean-Claude Ameisen ouvre à la réflexion philosophique des espaces insoupçonnés.     

 

 


Citation ou commentaire de La Sculpture du vivant dans des œuvres philosophiques et littéraires par :

Henri Atlan. Les Etincelles de hasard. Tome 1. Connaissance spermatique. Editions du Seuil, 1999. La librairie du XXè siècle.

Florence Guignard. Une métaphore biologique du transfert. La Revue Française de Psychanalyse, 2/2000, 581-597.

Philippe Sergeant. Idées clandestines. Editions Provare, 2001.

Pang Pu, Ysé Tardan-Masquelier. La Sagesse. Desclée de Brouwer/Presses littéraires et artistiques de Shanghai, 2001.

Gérard Klein, Préface du roman de science fiction de Greg Bear, Héritage. Laffont, 2001 (Le Livre de Poche).

Michel Truffaut. Humanité, suite et fin (roman). Fayard, 2002.

Jean-Pierre Dupuy. Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain. Editions du Seuil, 2002. La Couleur des idées.

Laurent Cherlonneix. Nietzsche: Santé et Maladie, l'art. L'Harmattan, 2002. Ouverture philosophique.
Laurent Cherlonneix. Philosophie médicale de Nietzsche: la connaissance, la nature. L'Harmattan, 2002. Ouverture philosophique.

Huyghe P, Parreno P and artists, authors, photographers, Van Abbemuseum, Eindhoven; Institute of Visual Culture Cambridge. No Ghost just a shell, 2003, Kunsthalle Zürich; Verlag der Buchhandlung Walther König, Köln

Lockshin RA, Zakeri Z. Introduction: Cell death origin and progression. In: When cells die, II, edited by Richard A. Lockshin and Zahra Zakeri. 2004 John Wiley & sons, inc.

Sonigo P. in : Huitième rencontre « Physique et interrogations fondamentales » Organisée par la Société française de physique et la Bibliothèque nationale de France

Oudeyer, P-Y. (2005) The self-organization of combinatorial vocalization systems, in : the proceedings of the European Conference on Complex Systems, Paris. European Commission, Community Research, Information society technologies.

Tamagnone C. Necessità e Libertà. L'ateismo oltre il materialismo. Ed. Clinamen, Florence. Necessity and liberty. The plural reality and the human existence.

Grandguillaume G. Vie et mort dans la transmission du patrimoine : le cas de la langue. Références : Patrimoine et co-développement durable en Méditerranée occidentale, Actes du Séminaire international Tunis-Hammamet, 23-27 mai 2000, Tunis, Institut National du Patrimoine, oct.2001, p.37-45

dans L'Encyclopédie de l'Agora (Canada). Dossier: Grandes questions, L'humain, Le divin, Sciences et techniques. Article: Mort

Citation ou commentaire de La Sculpture du vivant dans des journaux scientifiques :

Citations de la Sculpture du vivant dans Cell death and Differentiation (2002) 9, 347-8: G. Melino, News and Commentary: The meaning of death.

dans Cell death and Differentiation (2002) 9, 355-7: ER James & DR Green, News and Commentary: Infection and the origins of apoptosis.

dans Nature 412, p. 23 (5 July 2001): Concepts

The Sirens' song

 

Gerry Melino
Biochemistry Laboratory, IDI-IRCCS, University Tor Vergata, 00133 Rome, Italy.

Individual cells face three choices: to divide (mitosis), to specialize (differentiate) or to commit suicide (apoptosis). The balance between these ensures tight regulation of cell numbers within organisms. If mitosis proceeded without cell death, an 80-year-old person would have 2 tons of bone marrow and lymph nodes, and a gut 16 km long.

Nevertheless, it took a long time for apoptosis to emerge into the limelight. Apoptosis is over 20 times faster than mitosis, and sightings of dying cells are rare. In contrast to passive cell death (necrosis) — which features leakage and inflammation — apoptotic cells are engulfed and degraded by neighbouring cells without a trace. Various morphologies that we would regard as apoptotic have been observed since the middle of the nineteenth century. But it wasn't until the 1980s that apoptosis was generally credited, when Robert Horvitz and collaborators mapped the fate of every cell in the nematode Caenorhabditis elegans, including those that were committed to die. It emerged that cell death is determined by a handful of genes. These 'master switches' have been conserved in evolution so that they, or rather their equivalent families, still orchestrate apoptosis in mammals. However, like life, death is not that simple; the wealth of pro- and anti-apoptotic proteins in cells suggests that suicide is as carefully considered by the cell as it was by Camus.

In stating that it is not possible to enter the same river twice, Heraclitus expressed the irreversibility of time. We, too, undergo continuous changes. What controls the changes in the molecules that form our bodies? What provides our sense of permanence? How do our cells constitute a unified whole? Gradually, the idea emerged that the stability of the body is maintained by signals that control the life and death of single cells. This is a powerful concept, implying that there are specific survival and death signals, and corresponding receptors on cells. Such social control of life and death are vital in complex multicellular networks such as the immune system and the nervous system, where communication between cells is crucial.

To survive, we must resist many death signals: here the Greek myths provide striking metaphors. To resist the persuasive songs of the Sirens, Odysseus plugged his sailors' ears (blocking the receptors) and tied himself to a mast (blocking signalling). Orpheus, however, resisted the songs by loudly singing and playing his lyre. Thus, he superimposed his life song (anti-apoptotic) over the Sirens' death song (pro-apoptotic). Does social control inevitably imply navigation between conflicting signals?

Social control (altruism, cheating and selfishness) is a powerful evolutionary force, and its signals can be translated to the molecular level. Jacob, Monod and Wyman demonstrated the existence of 'repressors', through which signals interact to modulate gene expression, fine-tuning the activity of enzymes or the binding of ligands and receptors. It is no surprise, therefore, that social control extends to unicellular organisms. Regulated forms of cell suicide also occur in bacteria, in the protozoa Trypanosoma and Tetrahymena and in the amoeba Dictyostelium. In bacteria, several genes, organized as toxin-antidote modules, control the balance between life and death. Most are encoded by plasmids, but some by the bacterial chromosome itself. This is the case for the toxin MazF (which fragments the genome), which is neutralized by the antidote MazE, which in turn is continuously degraded by a protease, ClpP. It seems that, like Sisyphus and the rock he pushes up the mountain — which always rolls down before he reaches the summit — unicellular organisms must continuously inhibit self-destruction.

We can now revisit the idea that social control of cell death in eukaryotes also involves intracellular signals (as Ameisen believes) rather than just signals between cells (as Raff believes). Two billion years ago, the atmosphere changed from being reducing to oxidizing. The reactivity of oxygen and its products allowed the development of complex reactive structures, such as haem centres. This led to more flexible protein structures, more reactivity and more regulation (allostery). Symbioses developed to maximize biological performance — eukaryotic cells seem to be the result of such symbiosis. Some bacteria captured mitochondria, giving rise to proto-animal cells; others captured chloroplasts, forming proto-vegetal cells. Thus, a dialectic was established between different elements of the symbiotic partnership. However, the toxic potential of components of the consuming partner, such as the electron-transport chain, necessitate their sequestration within mitochondria; for this reason, mitochondrial damage gives rise to signals that can kill the cell. The cell, in turn, protects itself by producing antidotes such as caspase inhibitors and anti-apoptotic proteins.

Understanding apoptosis may require an appreciation of these ancient symbioses. Any change in equilibrium from the inside (DNA damage, metabolic or cell-cycle aberrations) or the outside (signals and receptors) irreversibly activates suicide. The result is a mitochondrion-centred picture of life and death. But if dialogues exist between other intra- cellular organelles, this view needs rethinking. What's more, apoptosis seems not to be the sole phenotype of cell suicide. Various pathways of self-destruction coexist in our cells that may have been selected during evolution. And several gene products involved in these death pathways also seem to regulate mitosis and differentiation, blurring the frontiers between 'programmes' of life and death.

With the increased understanding of cell suicide has come a shift in our attitude to many diseases. No longer is it fashionable to think of cancers solely as disorders of mitosis, but rather as a failure of apoptosis. Similarly, diseases such as AIDS, neurodegenerative conditions and auto-immunity may result from too much, rather than too little, apoptosis. The complexity and subtlety of cell death not only allows cells to control their fates, but also offers us new therapeutic ways to control them. The effectiveness and selectivity of these interventions will depend on our capacity to dissect the diverse interplay between molecular mechanisms that regulate mitosis, differentiation and death.

Further reading
Ameisen, J. C. La Sculpture du Vivant (Seuil, Paris, 1999).
Aravind, L. et al. Science 291, 1279–1284 (2001).
Metzstein, M. M., Stanfield, G. M. & Horvitz, H. R. Trends Genet. 14, 410–416 (1998).
Insight: Apoptosis. Nature 407, 769–816 (2000).
Raff, M. C. Nature 356, 397–400 (1992).


…. Le plus surprenant étant de découvrir, en passant, une citation du livre sur le mur d’une station de métro (Station Pasteur, sur la ligne Etoile Nation) Affiche murale comportant des citations de François Jacob, François Dagognet, Jean Claude Ameisen et Georges Canguilhem.


 [Plusieurs des articles cités ici sont lisibles sur le site: Sito Web Italiano per la Filosofia ]

Corriere della sera (Italie) 24/1/2001, BIOLOGIA GENETICA

ANTEPRIMA. Dopo anni di ricerche Jean Claude Ameisen ha scoperto che gli organismi base sono programmati per autodistruggersi. Un'avventura raccontata in un saggio.

 

CELLULE La vita comincia con un suicidio

Ma le strutture complesse si rifiutano di morire

 «Siamo della natura delle foglie che reca Primavera odorosa» dice Mimnermo in una struggente lirica di venticinque secoli fa. Siamo veramente della natura delle foglie, non solo al livello di individui, mortali per eccellenza, brotòi dice Omero, ma anche a livello delle nostre cellule. Ogni cellula del nostro corpo ha la potenzialità di suicidarsi a ogni istante e sopravvive soltanto perché, e finché, non lo fa. Questa la conclusione di più di dieci anni di esperimenti di biologia cellulare e questo è il tema del libro di Jean Claude Ameisen Al cuore della vita che sta per uscire da Feltrinelli. Insomma, la sopravvivenza delle nostre cellule è la conseguenza di una loro decisione di non morire di propria mano. Le cellule degli animal i sono infatti programmate per morire in qualsiasi momento, in risposta a un segnale convenuto. A volte lo fanno; più spesso non lo fanno. Questa è la vita di una cellula. Al cuore di questa vita c'è il rifiuto della morte. Il suicidio programmato delle varie cellule viene chiamato «apoptòsi», un termine della tarda grecità che designa proprio la caduta delle foglie. L'uomo ha sempre assistito, ammirato e incuriosito, allo spettacolo della caduta delle foglie alla prima ventata d'autunno. Per lungo tempo si è ritenuto che si trattasse di un accidente, una risposta passiva alla violenza degli elementi, anche se ciò accade solo per certi tipi di piante, quelle appunto che d'inverno perdono le foglie. Oggi sappiamo che non è così. La cadut a delle foglie è un fenomeno attivo e programmato. Quando è tempo, le cellule alla base del picciolo di ogni foglia cominciano spontaneamente a morire una dopo l'altra, finché non c'è più materia viva che tenga la foglia avvinta al ramo e la prima brezza se la porta via. La caduta annuale delle foglie è divenuta, così, il prototipo dei fenomeni connessi con la morte cellulare programmata e a questa curiosa proprietà della materia vivente ha prestato il suo nome. Vita, quindi, come non morte. Ci si chiederà quale può essere l'utilità di un meccanismo biologico così contorto e del tutto estraneo alla nostra intuizione. Il punto è che la morte programmata delle cellule è necessaria. E' necessaria durante lo sviluppo embrionale (per perfezionare le strutture corporee dell'individuo che si sta formando e per la più appropriata strutturazione del suo sistema nervoso) ed è necessaria durante tutta la vita, allo scopo dire quelle cellule del corpo che potrebbero danneggiarci. Prendiamo, ad esempio, la formazione delle dita di una mano o di un piede. Nell'embrione di una certa età le dita sono unite fra di loro da un setto dermico, una sorta di membrana palmare. Le cellule di questo setto andranno poi incontro a un processo di morte programmata e le dita si separeranno l'una dall'altra. Questo fenomeno è controllato geneticamente: le dita della zampa di un pollo si separano, come le nostre, prima della nascita, mentre quelle di un papero o di un cigno restano unite per tutta la vita. Con un meccanismo analogo si separano anche il radio e l'ulna nell'avambraccio e si forma l'avvallamento cutaneo corrispondente alle pinne del nostro naso. La morte cellulare serve cioè a rifinire la forma del corpo, scolpendone i dettagli più minuti nel quadro di una fantastica, raffinata opera di cesello. In questi casi le cellule che sono destinate a morire, o meglio a suicidarsi, sono stabilite fin dall'inizio con precisione e non possono essere altro che quelle. Esistono invece altre situazioni nelle quali è prevista una certa quantità di morte cellulare programmata, ma non è stabilito a priori quale cellula deve morire e quale no. Si è accertato, ad esempio, che un buon 15% di tutte le cellule nervose, o neuroni, che si originano nel sistema nervoso centrale di un mammifero va incontro a morte nelle prime fasi del suo sviluppo. In certe specifiche regioni del cervello non meno del 60% dei neuroni muore, obbligatoriamente. In questo caso è stabilito geneticament e che qualcuno deve morire e vengono forniti gli strumenti necessari per mettere in atto questa decisione, ma non è stabilito con precisione chi deve morire. Per molti neuroni si accende una vera e propria competizione. Ciascuno di loro tenta di raggiungere mediante una sua propaggine, chiamata assone, il proprio tessuto bersaglio. Quelli che raggiungono prima l'obiettivo previsto sopravvivono, gli altri muoiono per strada. Il fattore limitante è la concentrazione locale di alcune sostanze, come ad esempio l'NGF, il nerve growth factor, scoperto da Rita Levi Montalcini. Queste sostanze si comportano come veri e propri fattori di sopravvivenza. Il neurone che riesce a sistemare le proprie propaggini in maniera da usufruire di una sufficiente quantità di questi fattori sopravvive, mentre gli altri muoiono. Questo processo serve a stabilire una volta per tutte i dettagli delle nostre connessioni nervose. Si tratta di un'altra opera di cesello, realizzata nell'organo più complesso e raffinato che possediamo e portata a termine durante le ultime fasi della vita embrionale e immediatamente dopo la nascita. C'è chi pensa, a questo proposito, che qualche dettaglio di questa rifinitura finale sia scolpito anche sulla base delle nostre prime esperienze di vita. Un altro esempio di morte programmata ma non determinata si ha nella maturazione delle cellule T, quei globuli bianchi del sangue che controllano le nostre difese immunitarie (e che sono selettivamente colpiti dal virus del l'Aids). Solo il 2-3% di quelle che nascono raggiungono la maturità e riescono a entrare in ballo. Questo processo di maturazione e di «educazione» delle cellule T implica perdite enormi, però la posta in gioco è pure enorme. Fra le cellule T immature che vengono prodotte quotidianamente figurano anche quelle pronte ad attaccare alcune parti dell'organismo stesso e che sono dette cellule T autoreattive. Queste cellule vanno bloccate, nell'e tà infantile e per tutta la vita. Esistono vari sistemi per bloccare la proliferazione di ceppi cellulari indesiderati, ma uno dei più sicuri è la loro eliminazione fisica. Questo è proprio quello che succede alle progenitrici delle cellule T autoreattive durante il processo di maturazione. L'eliminazione di queste cellule è necessaria per la sopravvivenza dell'intero organismo, anche se non è stabilito a priori quali cellule saranno sacrificate e quali no. Quando le istruzioni di morte arrivano a una determinata cellula T, qualunque essa sia, questa si suicida, secondo un protocollo prestabilito e controllato da geni specifici, che cominciamo oggi a conoscere uno per uno. Una delle cose più interessanti di tutta questa storia, narrata con molto rigore e maestria nel libro di Ameisen, è che tutti questi geni sono stati originariamente individuati in organismi estremamente diversi da noi, come i vermi nematodi e il moscerino dell'aceto, organismi che si sono rivelati e si rivelano d'enorme importanza per la comprensione della nostra biologia, e in definitiva della nostra stessa natura. «Si sta come d'autunno sugli alberi le foglie», per dirla con un altro poeta. Ma si sta. E si indaga e ci si interroga, come si addice a un orgoglioso giunco pensante.

Edoardo Boncinelli

Il libro: Jean Claude Ameisen, «Al cuore della vita» Feltrinelli, pagine 440, lire 40.000

 

Il Sole 24 Ore (Italie) 25/2/2001, p. 32

Gli stessi meccanismi di sopravvivenza degli insetti sociali sono presenti in esseri viventi complessi come l'uomo

La cellule fa hara-kiri per il bene dell'organismo

Ma un "sucidio" sbagliato può provocare il Parkinson o l'Alzheimer

In un suggestivo saggio intitolato La sociogenesi delle colonie di insetti, Edward 0. Wilson paragonava la formazione di una colonia di insetti sociali alla morfogenesi di un organismo a livello delle cellule e dei tessuti. E, recentemente, è stato ipotizzato che un gruppo di individui che si comportano altruisticamente funzioni come un "superorganismo" e in questo modo risulterebbe favorito dalla selezione naturale.

Il problema per cui però non era stata ancora trovata una soluzione è come venga concretamente esercitato il controllo sociale sul comportamento delle cellule o degli individui, di modo che si affermi quel particolare piano di sviluppo di un animale che è in grado di agire coerentemente e riprodursi, o che emerga da una coppia di termiti una società che si comporta come se fosse un organismo.

Negli ultimi anni è venuto alla luce un meccanismo che potrebbe spiegare in un modo del tutto imprevisto l'origine delle diverse aggregazioni sociali di individui sperimentate dall'evoluzione biologica. Secondo Jean Claude Ameisen si tratta dalla possibilità di scatenare la morte prima del tempo nelle entità biologiche che si organizzano in società, che si tratti di colonie batteriche, o di insetti sociali o animali multicellulari.

Immunologo e biologo cellulare, Ameisen ha scritto un testo teorico-divulgativo tra i più belli e originali degli ultimi anni. Peccato che la traduzione non sia all'altezza, a cominciare dal titolo: quello originale è La sculpture du vivant. La tesi di Ameisen è che l'apoptosi o morte cellulare programmata, vale a dire la morte "prima del tempo", sia la chiave per spiegare l'evoluzione e la storia individuale delle strutture multicellulari differenziate e complesse, come sono i corpi animali, nonché di alcune forme di organizzazione sociale di particolare successo, come le popolazioni di microrganismi o le società degli insetti.

Apoptosi è un termine forse oscuro, ma di cui è il caso di impadronirsi, dato che è parte integrante e fondamentale del lessico biomedico. Fu proposto nel 1972 per definire un particolare tipo di morte cellulare, diverso dalla necrosi. Mentre le cellule che muoiono per necrosi nel corso delle reazioni infiammatorie esplodono, nell'apoptosi la membrana cellulare non si rompe e si osserva una sorta di collasso e frammentazione direttamente all'interno della cellula. Il nuovo termine voleva richiamare il significato antico, riferito al cadere delle foglie. In realtà, il temine fu usato anche da Ippocrate per descrivere il calo delle ossa dovuto alle cancrene. In Galeno descriveva la caduta delle croste, mentre il suo più illustre paziente, Marco Aurelio, lo usò come sinonimo di rovina e decadenza politico-sociale.

Da diversi decenni si sapeva che la morte delle cellule nel corso dello sviluppo serve a scolpire la forma del corpo, per esempio quando si devono separare le dita della mano. Nella seconda metà degli anni Ottanta si è quindi dimostrato che la morte cellulare viene utilizzata per selezionare le popolazioni di linfociti che sovrintendono al controllo del sé immunologico e per strutturare le reti nervose che incorporano il sé psichico. La scoperta che questa morte è programmata e controllata da geni e proteine particolari attraverso un meccanismo che sopprime l'azione di specifici esecutori del suicidio, normalmente presenti nelle cellule, ha portato alla conclusione che le cellule hanno bisogno di segnali dal contesto sociale in cui si trovano per non suicidarsi. Si è poi visto che l'acquisizione dell'incapacità di suicidarsi da parte delle cellule è uno dei passaggi cruciali nella progressione delle cellule tumorali verso la malignità fatale, ma anche dell'insorgenza delle malattie autoimmuno. Per contro, il suicidio cellulare attivato in modo sbagliato può causare il Parkinson o l'Alzheimer.

In pratica, è stato acquisito il concetto che la morte programmata risponde all'esigenza di un controllo sociale sulla vita della cellula individuale, che con l'evoluzione della multicellularità avrebbe maturato questa caratteristica altruistica di rimettere la propria sopravvivenza nelle mani della collettività di cui è parte. La ribellione o meglio l'incapacità di riconoscere e rispondere adeguatamente ai segnali di sopravvivenza e morte spiega quindi la patogenesi di molte malattie infettive e degenerative.

Questa scoperta inizialmente sembrava non interessare gli organismi unicellulari, dove il controllo sociale della sopravvivenza non dovrebbe servire. Si è visto, invece, che l'apoptosi avviene anche in alcuni eucarioti unicellulari come i Tripanosomi, e che si tratta di un meccanismo utilizzato per regolare la sopravvivenza e i cicli di sviluppo di questi parassiti. Questa scoperta ha indotto Ameisen a ipotizzare che la morte cellulare programmata e quindi il controllo sociale della sopravvivenza cellulare abbia avuto origine con le prime cellule, le quali svilupparono dei meccanismi molecolari per lavorare e riparare il DNA. Meccanismi che comunque potevano andare al di là della loro funzione e quindi dovevano essere tenuti sotto controllo da inibitori. Da questi "moduli costruttori", costituiti da esecutori e inibitori, si sono quindi evoluti dei "moduli di dipendenza", che hanno consentito alle cellule batteriche di acquisire dei geni killer che producono tossine e la cui azione è controllata da geni che codificano degli antidoti. I moduli di dipendenza sono stati quindi utilizzati dalle popolazioni batteriche genomicamente uniformi per esercitare un controllo collettivo e una selezione della progerie in grado di affrontare meglio situazioni ambientali avverse. Una volta inventato, il modulo di dipendenza è stato adattato, come in un continuo lavoro di bricolage, a varie situazioni. Per esempio avrebbe consentito lo sviluppo della cellula eucariote come simbionte nato dalla fusione di diverse specie batteriche, con l'acquisizione dei mitocondri, che sono la centrale energetica della cellula ma si sono anche rivelati implicati nell'innesco della morte cellulare.

Assumendo il principio che la morte prematura, attraverso l'utilizzazione dei moduli di dipendenza dalla comunicazione intercellulare, rappresenta la chiave per consentire lo sviluppo delle società cellulari, Ameisen descrive in modo essenziale ma chiaro come funziona nei processi di scolpimento della forma animale. Nella costruzione del sé immunitario e della morfologia del cervello, e nel controllo dell'invecchiarnente. In questo libro egli sfida diversi luoghi comuni della biologia, tra cui l'idea affermatasi oltre un secolo fa con August Weismann che gli organismi unicellulari siano immortali. In particolare ricorda la recente scoperta che nella riproduzione del lievito, in un organismo unicellulare, in realtà già si osserva una rottura di simmetria in cui le cellule che emergono dalla scissione non sono equivalenti: una è la madre e una la figlia, e la madre può figliare un numero finito di volte e poi si estingue.

Una grande qualità di questo libro e la travolgente tensione speculativa, oggi inusuale tra ricercatori fortemente specializzati, che arriva a toccare settori tra loro apparentemente irrelati come la cancerogenesi e l'evoluzione degli insetti sociali. Non meno degni di nota sono il respiro culturale, nonché un sano pragmatismo teorico, per cui Ameisen si dimostra tranquillamente aperto alla possibilità che al di là dei principi di organizzazione molecolare definiti più o meno meccanicisticamente in termini di interazioni genetico-molecolari regolative, esistano ulteriori livelli di controllo della fisiologia organica dove entrano in gioco dinamiche quantitative e fenomeni di auto-organizzazione mediati da nuovi e al momento sconosciuti principi funzionali.

Gilberto Corbellini

Jean Claude Ameisen, "Al cuore della vita. Il suicidio cellulare e la morte creatrice", Feltrinelli, Milano 2001, pagg. 370, L. 40.000.
L'autore presenterà il volume domani a Roma, ore 14, presso l'aura Magna della Facoltà di Medicina e Chirurgia Tor Vergata e mercoledi 28 febbraio a Milano, ore 18, nella Libreria Feltrinelli di Piazza Duomo.

 

Le Scienze (Italie) marzo 2001

Al cuore della vita. Il suicidio cellulare e la morte creatrice di Ameisen, Jean-Claude

«Le Scienze» ha riferito spesso negli ultimi anni delle ricerche sull’apoptosi o «suicidio cellulare». Se i lettori non biologi hanno rinunciato ad approfondire l’argomento perché l’intrico di segnali e contro-segnali che geni, proteine e altri protagonisti si scambiano per provocare l’autodistruzione di una cellula è parso troppo complicato, ci riprovino.        
Jean-Claude Ameisen, quarantenne professore di immunologia all’Université de Paris-VII e direttore di ricerca all’INSERM (equivalente dell’Istituto superiore di Sanità), racconta una storia complicata ma indimenticabile. Per un secolo e mezzo i biologi hanno osservato gli effetti dell’apoptosi — la scomparsa della coda o della membrana tra le dita durante lo sviluppo dell’embrione umano, per esempio — dandone spiegazioni sbagliate. Una teoria della morte creatrice era letteralmente impensabile, quindi si radunavano i soliti sospetti: patologie ignote o cellule killer. Perfino una volta decifrati i segnali, si è faticato ad accettarne il significato. Era più facile credere che l’eritropoietina stimolasse le cellule staminali del midollo osseo a produrre globuli rossi, piuttosto di ammettere che impedisse alla discendenza delle staminali di suicidarsi.     
Il libro segue un doppio ordine cronologico: narra le scoperte da metà dell’Ottocento all’anno scorso e attraverso queste reinterpreta i processi di sviluppo dalla blastula in poi. Chiariti i meccanismi biochimici della convivenza e dell’espulsione nella società multicellulare del nostro corpo fino all’età adulta, Ameisen torna indietro di due miliardi di anni. Con il Trypanosoma cruzi, il parassita che causa il morbo di Chagas, e altri microbi, mostra come l’evoluzione abbia programmato per il suicidio anche organismi unicellulari che, vivendo in colonie, «partecipano alla costruzione di una società complessa». 
La complessità è un leitmotiv. Serve a mettere in crisi concetti come «funzione», comodi nella routine del laboratorio ma che impediscono di capire osservazioni inedite. La critica dell’autore agli schemi mentali conservatori della biologia molecolare piacerà anche a chi si smarrisce nell’opaca nomenclatura di geni e proteine — urge un Mendeleev della genetica — e lo spingerà verso l’ultima parte, sull’invecchiamento.       
L’originalità della scrittura (che pure soffre di qualche imprecisione di traduzione: le cellules souches non sono cellule «ceppo», ma le famose cellule staminali) deriva proprio dal tema del libro. Fuori dai termini tecnici, per nominare i meccanismi dell’apoptosi esistono soltanto parole che evocano la nostra morte, tutte cariche di emozioni: «suicidio», mettiamo, rimanda a decisione, sofferenza, solitudine disperata. Ameisen non vuole privarsi della potenza emotiva del linguaggio e non la censura: ne ha bisogno — e con lui tutta la biologia, sottintende — per guardare e dire la morte come agente di vita.  
Per illustrare la fecondità di questo punto di vista, Ameisen ricorre a metafore e miti. Con successo. Da qualche anno si fa l’ipotesi che infarto, ictus, Parkinson, Alzheimer siano dovuti a disfunzioni dei meccanismi dell’apoptosi. Come verificarlo? Ascoltando i consigli di Circe a proposito del canto delle sirene, risponde Ameisen: i marinai di Ulisse lo legano all’albero maestro e si tappano le orecchie con la cera. Oppure imitando Orfeo che suona la lira per coprire il canto fatale. Le ricerche, scrive, mirano a bloccare la percezione del segnale o la capacità di rispondervi o a vanificarlo con segnali opposti.     
A volte cede all’entusiasmo, e rilegge addirittura il Genesi alla luce dell’apoptosi, attrezzo ermeneutico che, come poi riconosce, andrebbe maneggiato con cautela. Ma presto si riprende e torna a guidare il lettore nel dedalo cellulare. Quando ne esce, nel «prologo per concludere», pone interrogativi etici e sociali, saggia le «frontiere naturali» della longevità, immagina che si potranno superare, e sconfiggere «la morte prima del tempo». Ma questo, avverte, non è scienza. Non ancora.

           
Sylvie Coyaud

 

Il Giorno (Italie) 1/3/2001, p. 7.

LA SCOPERTA E' rivoluzionaria la teoria sul «suicidio cellulare » del biologo francese J. C. Ameisen

Al cuore della vita c'è... la morte

MILANO - (Fr. A.) L'immunologo e biologo francese Jean Claude Ameisen era ieri a Milano a presentare il suo suggestivo saggio "Al cuore della vita" (Feltrinelli). Un testo scientifico che si fa leggere con estremo piacere, perché l'autore ci conduce nei più profondi misteri della biologia, usando miti, esempi, riferendo ricerche sue e di altri studiosi con lo stupore e la semplicità di un bambino. Sino ad arrivare alla sua teoria che ha rivoluzionato il modo di intendere il funzionamento del nostro corpo, di vedere la malattia e l'invecchiamento, aprendo anche nuove vie di cura a diverse malattie. La sua ipotesi è che la morte delle cellule che compongono il nostro organismo non è causata da accidenti, logoramento del tempo ed aggressioni da parte dell'ambiente esterno, così come si è sempre creduto. La morte, la facoltà di autodistruggersi è una possibilità presente in ogni nostra cellula in ogni momento e per l'intero arco della sua durata e la vita nasce paradossalmente dalla negazione di questa forza distruttiva. Difficile, per ora, arrivare al controllo ultimo sulla vita e sulla morte, perché le nostre cellule sono società complesse, in ricomposizione permanente, vortici caotici sempre in movimento dove la vita e la morte si intrecciano.

La facoltà di autodistruggersi è innata     
Ora si può pensare di inibirla e di vivere a lungo senza invecchiare

Professor Ameisen, la sua teoria del suicidio cellulare quali nuove vie di cura prospetta?      
« Questa ipotesi ha permesso di intravedere tipi di trattamenti inimmaginabili sino a 10 anni fa. Cioè, impedire la morte delle cellule, malgrado la persistenza della causa che porterrebe alla morte. Impedendo semplicemente l'autodistruzione delle cellule. Da un punto di vista concettuale è una rivoluzione e tutti gli esperimenti che sono stati fatti sugli animali negli ultimi 5 anni hanno dimostrato che questo è fattibile. I risultati sono stati spettacolari ma per ora è impossibile dire quando come e se ci saranno risultati notevoli.»

La malattia, lei scrive, è una confusione di segnali che porta al suicidio delle cellule. Come intervenire su questi segnali?         
« Ci sono tre possibilità per impedire alle cellule di autodistruggersi in risposta a un segnale di morte: utilizzare farmaci che no permettono alle cellule di avvertire i segnali; oppure sostanze chimiche che impediscono alle cellule di trasmetterli. La terza soluzione è di aggiungere all'interno o all'esterno delle cellule molecole che fanno sì che queste cellule sopravvivano, anche se ricevono i segnali di morte. La quarta soluzione sarebbe eliminare la causa della malattia, ma noi stiamo parlando di guarire in sua presenza. »

Come si colgono i segni di suicidio cellulare?        
« Non c'è cadavere cellulare. Quando una cellula imbocca la via dell'autodistruzione, avviene l'apoptosi, un termine greco che vuol dire "caduta" ed è un atto ordinato di cancellamento di sé. Ma è anche un atto che chiama in causa altre cellule vicine che riconoscono la morte imminente dell'amica e l'assorbono e la fanno scomparire. Tutto si svolge molto velocemente. Et è per questo che gli studiosi non hanno potuto per molto tempo cogliere l'importanza, la frequenza dei fenomeni di suicidio cellulare nel nostro corpo. »

La morte, nella sua teoria, sta dentro la vita. Non è più un elemento esterno. Allora ci dovrebbe spaventare di meno? Come vede dopo i suoi studi la morte?      
«Non c'è un'opposizione tra vita e morte. La vita non può impedire la morte e allora la accetta, rendendola utile. Il senso profondo della morte corrisponde all'avventura biologica della vita. Fa parte del modo con cui noi siamo costruiti e bisogna rivedere questa idea di scacco e di maledizione.»

Ma ci sono tanti studiosi al lavoro per spostare i confini della vita...     
« Bisogna accettare la morte come parte integrante della vita, ma ci può anche essere il desiderio di modificare le regole del gioco. Non per arrivare all'immortalità, che non ha senso. Ci sono modalità di relazione tra la vita e la morte che possono essere trasformate. Prima bisogna capire e poi modificare i rapporti con la morte. Oggi si può vivere 90-100 anni, un domani si potrà arrivare a 150. Un topo vive un anno e mezzo e un pipistrello 30. Ci sono piante che vivono poco e altre tanto. La durata è modificabile, ma non bisogna sbarazzarsi della morte. Bisogna semplicemente modificare il dialogo tra la vita e la morte. Per molto tempo si è creduto che la vecchiaia dipendesse dall'usura, e si è prolungata la vita, semplicemente allungando la vita da vecchio. Ora si sa che la longevità e l'invecchiamento sono legati a meccanismi di costruzione di vita e se questi si modificano si può allungare il tempo della giovinezza. Per ora, si è riuscito a farlo sugli animali. Per l'uomo ancora non si sa, né quando, né come. E bisogna essere sicuri che questo non provochi danni alla sua salute e alla sua felicità. »

Francesca Amoni

 

Il Manifesto. Supplem. Alias (Italie), n°12, 24/3/01

LÈGGERE JEAN CLAUDE AMEISEN, E CAMBIANO I CONCETTI VITA/MORTE        

Il suicidio-scultura delle cellule

        
Un saggio-affresco sul suicidio naturale delle cellule («Al cuore della vita», dell'immunologo francese Ameisen), che descrivendo la morte «elementare» finisce per dialogare con quella dei filosofi, e ribalta le opinioni più comuni: quando decide di morire, la cellula è creativa come uno scultore  

La vita, cos'è la vita? È riuscire, istante dopo istante, a reprimere una perpetua e travolgente pulsione al suicidio. E la morte, cos'è la morte? È rimuovere, a un certo punto, ogni resistenza, avvisare con ritegno i vicini, e andarsene con lucida e composta dignità, staccando da soli la spina, ma facendosi assistere negli ultimi istanti prima del sereno trapasso. Sì, la vita dell'unità elementare della vita, la cellula, è la capacità di resistere alla voglia di suicidio. E la morte cellulare è una dolce morte: un suicidio lucido, programmato e assistito. Un atto di grande pietà e di grande creatività.        
Quando avrete finito di leggere Al cuore della vita, il libro che il francese Jean Claude Ameisen, immunologo presso l'università Paris VII, ha appena fatto uscire per Feltrinelli (pp. 370, L. 40.000), la vostra percezione dei due concetti fondamentali che ci accompagnano nel corso dell'esistenza con il loro carico di irrisolta razionalità e di struggente emotività, il concetto di vita e il concetto di morte, sarà decisamente cambiata. Già, perché quello di Ameisen non è solo un libro di biologia sul suicidio delle cellule scritto in modo brillante (ma con una traduzione che, almeno nei termini tecnici, non è sempre all'altezza) da uno dei più grandi esperti al mondo di apoptosi, cioè di morte cellulare. Ma, come tutti i grandi testi scientifici, è anche e soprattutto un'opera filosofica. Un affresco capace di modificare in profondità l'immagine che abbiamo di noi stessi e del mondo.        
Per migliaia di anni abbiamo creduto di avere un'idea chiara, assoluta, essenziale di cosa fossero la vita e la morte. Abbiamo, in verità, sempre avuto una certa difficoltà a definire in modo rigoroso cos'è, esattamente, la vita. Ma abbiamo anche pensato che questa difficoltà fosse solo apparente, perché della vita ci sembra di avere un'intuizione immediata (che Kant avrebbe definito a priori). Al contrario, non abbiamo mai avuto grandi difficoltà a dire cosa sia la morte. La morte ci sembra qualcosa di opposto alla vita: quando c'è vita, non c'è morte; quando c'è morte, non c'è vita.  
Da almeno un paio di secoli, però, la scienza ha cominciato a cambiare queste nostre immagini intuitive. Da quando Charles Darwin, nel 1859, ha pubblicato Sull'Origine delle Specie, sappiamo che la vita non è una condizione assoluta, ma è un processo evolutivo. E da quando Claude Bernard, sempre nel XVIII secolo, ha introdotto il concetto di «ambiente interno» di un organismo vivente in equilibrio dinamico (omeostasi), sappiamo che vita e morte non sono sempre in opposizione. Il processo della vita contempla anche la morte. «La vita è morte, la vita è creazione», sosteneva il grande Bernard. Abbiamo poi imparato che non è possibile dare una univoca definizione di morte: bisogna distinguere, per esempio, tra la morte biologica di un corpo e la morte cerebrale di una persona. Ma anche in riferimento a un corpo, Rudolf Virchow già nel 1858 ci avvisava che bisogna distinguere tra «morte generale» dell'organismo e «morte elementare» (necrosi) delle sue unità fondamentali, le cellule. Da allora sappiamo che un intero organismo può vivere, mentre alcune delle sue componenti elementari possono e tal volta debbono morire.           
Tuttavia solo da una decina di anni a questa parte, racconta Jean Claude Ameisen, abbiamo
iniziato a capire quanto sia vasto e in che cosa consiste il processo della «morte elementare». E dalle conoscenze di questo processo, il concetto di morte ne esce radicalmente modificato. Le cellule che conoscono la morte sono quelle eucariote, le grandi cellule super-organizzate che compongono gli organismi complessi: le piante e gli animali, per intenderci. Le altre cellule, le più antiche, le piccole e semplici cellule procariote, non muoiono, si perpetuano duplicandosi in continuazione (anche se, naturalmente, possono essere distrutte da agenti esterni). La morte è dunque una condizione degli organismi complessi. È stata «inventata» tardi nel corso dell'evoluzione della vita (meno di un miliardo di anni fa, mentre la vita sulla Terra è vecchia di quattro miliardi di anni). E, sostiene Ameisen, è molto probabile che proprio l'«invenzione» della morte abbia consentito la creazione degli organismi complessi.          
Cominciamo, dunque, a intuire un ruolo davvero insospettato per la morte. Avevamo sempre
pensato alla morte come distruzione. Anzi, come la distruzione assoluta. E scopriamo che, invece, ha anche un ruolo creativo. Parafrasando Bernard, potremmo dire che «la morte è vita. La morte è creazione». Di più. La morte, sostiene Ameisen, è uno scultore, che consente alla vita di esplodere in una gamma inusitata di forme e di diversità. È, per esempio, solo attraverso la morte «altruistica di alcune cellule, anzi di intere architetture cellulari, che dal blob informe dell'embrione iniziale può emergere l'articolata e precisa morfologia dell'individuo bambino e poi adulto. La morte, dunque, come Michelangelo, fa emergere dal marmo informe della vita i lineamenti dell'armonia e della complessità.  
Ma c'è qualcosa di più che viene fuori dai più recenti studi sul funzionamento delle cellule in un organismo e ribalta le nostre antiche convinzioni: non è la morte l'assenza della vita. Al contrario, è la vita l'assenza, pro tempore, della morte. Già, perché la morte per suicidio è una tensione naturale delle cellule, e la vita è la capacità che, in certe precise condizioni, hanno le cellule di reprimere quella tensione. Quando la cellula si accorge di occupare uno spazio che non è il suo o di aver terminato il suo compito, quando, cioè, le condizioni ambientali per inibire la tensione al suicidio vengono meno, allora la cellula «decide» di morire. Cioè di lasciare via libera alle pulsioni interne che la conducono al suicidio: lucido, dignitoso, con tanto di «rito funebre». La cellula che «decide» di morire si prepara, infatti, al trapasso con grande compostezza, in modo che la morte sia dolce, e avvisa, con una serie di segnali, le cellule vicine. In modo che, quando il suicidio è ormai avviato, esse possano intervenire sia per favorirlo, sia per occupare la posizione lasciata libera.
Questa è dunque, l'apoptosi: una forza travolgente, ma lucida e creatrice. Certo, quella descritta da Ameisen è la dimensione della «morte elementare». E ogni estrapolazione dei processi che la guidano a livello della «morte generale» di un intero organismo sarebbe del tutto arbitraria.          
Tuttavia dalla lettura del libro dell'immunologo francese possiamo ricavare una speranza e una morale che ci ri guarda come organismi complessi. La speranza, abbastanza fondata, è che l'emergere di questa immagine creativa della «morte elementare e le specifiche conoscenze biomolecolari possano aiutarci a sospendere, il più a lungo possibile, la «morte generale» dei nostri complessi organismi (che per fortuna non hanno una pulsione travolgente al suicidio).       
La morale è che la natura non ha una morale, se è vero — come è vero — che fonda sul suicidio sistematico la sua più abbagliante comples sità: quella biologica. Compresa la complessità, cosciente e libera, di quella specie che il fisico Victor Weisskopf ha definito l'occhio attraverso cui la natura ha imparato a osservare se stessa.

Pietro Greco

 

La Repubblica (Italie) 26/3/01, p. 29

Perché e come invecchiamo?
Il romanzo delle cellule

Gli scienziati gli hanno affibbiato un nome romantico, anche se un po' buffo almeno alle nostre orecchie: apoptosi. In greco sta a indicare la caduta autunnale delle foglie, lo spogliarsi degli alberi del loro manto verde, l'ingresso in quel periodo di sospensione della vita che consente alla pianta di affrontare e superare i rigori dell'inverno. Oggi è usato per descrivere uno dei fenomeni più singolari e misteriosi della vita cellulare: quando cioè nel nostro corpo e in quello di qualsiasi organismo vivente — formato universalmente com'è noto da miriadi di cellule — una parte di questi fondamentali mattoni della vita comincia a morire: non per l'intervento di qualche fattore esogeno o per un trauma qualsiasi, ma per «propria mano». Insomma, quando le cellule si «suicidano». Cioè quando improvvisamente, e senza alcuna apparente costrizione interna o esterna la cellula attiva delle proteine che cominciano a tagliare a pezzi il «sancta sanctorum» cellulare, il prezioso filamento di DNA racchiuso nel suo nucleo, e inizia così a smontarsi, a disseccarsi, a morire insomma, mandando segnali chimici alle altre cellule che la circondano e che si stringono alla membrana (al suo guscio ormai disseccato) e la fagocitano, cioè divorano i suoi resti.        
Insomma, la nostra cellula si è «uccisa». Un suicidio in piena regola. Ma non si tratta di un processo raro o patologico: è un momento integrante (e addirittura creativo) dello sviluppo e della vita stessa dell'organismo: già nell'embrione, nell'utero materno, il suicidio cellulare «scolpisce» gli organi e modella la forma definitiva dell'organismo, eliminando una parte delle cellule appena formate, favorendo il processo di differenziazione che assicura la formazione di un nuovo essere. Lo descrive, in un testo affascinante come un romanzo, pur nel rigore scientifico, un noto immunologo francese, Jean Claude Ameisen, dell'Università di Parigi e dell'Inserm: Al cuore della vita - Il suicidio cellulare e la morte creatrice, pubblicato in Italia da Feltrinelli (pagg. 370, lire 40.000).      
Inesorabilmente, scrive Ameisen, una parte delle cellule che formano il nostro corpo, in ogni momento della nostra vita, deve morire: non solo per traumi o per eventi patologici (necrosi, traumi, malattie, etc.) ma per propria libera scelta. In un certo senso, «sceglie» di morire. Non si tratta di un processo raro o patologico: è invece parte integrante (e creatrice) dello sviluppo e della vita stessa dell'organismo.       
Comincia molto presto: nell'embrione, nell'utero materno, perché il «suicidio cellulare» — come scrive Ameisen — «scolpisce» gli organi, eliminando una parte delle cellule appena formate, e favorendo in tal modo i processi di differenziazione delle cellule totipotenti del grumo primitivo e la successiva migrazione che presiede alla formazione degli organi, alla loro collocazione nell'organismo maturo: un processo che sembrerebbe alla base non solo della forma che assumono i nostri corpi, e che è rigidamente programmato dal comando genetico, ma anche dei processi di invecchiamento e persino della longevità, nonché di alcuni dei principali mali che ci minacciano.  
Ma perché una cellula, collocata dallo sviluppo al suo posto e ben inserita nel suo contesto, decide di uccidersi?        
L'indagine citologica (la citologia è appunto lo studio delle cellule) — spiega Ameisen — è riuscita finora a stabilire le modalità e gli agenti del suicidio, ma non ancora le cause.        
Non si tratterebbe infatti di un «comando genetico» perché, sostiene lo scienziato francese, occorrerebbe una immensa quantità di informazioni genetiche — ben maggiore di quanta ne potrebbe offrire il nostro Dna — per programmare il destino di ogni singola cellula; si tratterebbe invece di un processo indeterministico e casuale, che stranamente ricorda — almeno nelle spiegazioni che ce ne diamo — la «scelta» casuale di un atomo radioattivo di disintegrarsi o attendere invece ancora qualche migliaio di anni prima di dar luogo a quel fenomeno che è alla base della radioattività. Cioè il «caso» (che forse è solo il nome di ciò che non sappiamo neppure prevedere) o l'indeterminazione — che ha un ruolo così importante nel mondo subatomico — percorrono non solo il mondo della materia inanimata, ma anche i nostri corpi. Non sarebbe quindi un programma a scatenare il suicidio d'una singola cellula, ma l'attuarsi di una potenzialità.           
Le ricerche hanno individuato nel patrimonio molecolare della cellula la presenza di proteine «esecutrici», che cioè provocano — e altre eseguono — l'uccisione della cellula, e anche di altre proteine «protettrici», che impediscono l'esecuzione e vegliano sulla sopravvivenza della cellula: in un gioco mortale la cui origine secondo Ameisen — specialista di questo affascinante settore – andrebbe ricercata nella più lontana storia della materia vivente, quando (forse circa un miliardo di anni fa) cominciarono a formarsi per simbiosi i primi organismi pluricellulari (formati cioè da una pluralità di cellule, fino allora gli organismi più complessi sulla superficie della Terra), composti a loro volta da organismi unicellulari «eucarioti», ossia provvisti di nucleo (partendo dall'assunto che ogni cellula moderna — come quelle del nostro organismo — è una società di microrganismi e di eredità molecolari, modellata dal suo passato).   
O forse la storia comincia ancora prima, quando ebbero luogo tremende «guerre» microscopiche tra eserciti di batteri per la conquista di ambienti favorevoli al loro sviluppo; e questi batteri erano «armati», nel senso che erano stati a loro volta colonizzati da organismi ancora più semplici (plasmidi), portatori di proteine «velenose», di tossine, capaci di uccidere per contatto e di altre proteine «protettrici» (antidoti), che i batteri avevano fatti proprie per usarle contro i loro nemici: gli attivatori del suicidio cellulare e le molecole «protettrici» potrebbero essere i residui di una primordiale guerra chimica di qualche miliardo di anni or sono.         
Questa (forse) la storia. Ma questa strana facoltà apre oggi la porta a nuove ipotesi terapeutiche e anche a riflessioni sull'intreccio tra evoluzione, invecchiamento e morte. Il suicidio cellulare — secondo Ameisen — è lo strumento della nostra formazione e laddove viene a mancare (per esempio nel cancro, quando le cellule tumorali si «immortalizzano») la nostra stessa sopravvivenza è in pericolo. Ma è anche probabilmente l'agente di processi patologici e in primo luogo dell'invecchiamento, e forse anche del Parkinson e dell'Alzheimer, e rappresentano probabilmente le testimonianze del conflitto nei nostri organismi tra passato e presente, cioè tra le cellule germinali (garanzia di sopravvivenza del nostro patrimonio genetico) e quelle somatiche, destinate a perire una volta assolto il loro compito.   
Perire sì: ma quando? L'apoptosi ci costringerebbe, secondo lo scienziato francese, a una morte precoce. Non è detto che i 70/80 anni della durata di vita nelle nostre confortevoli società siano il nostro ultimo limite biologico: questo potrebbe collocarsi verso i 130 anni, ad esempio.          
Comprendere meglio l'apoptosi, i meccanismi e le ragioni del suicidio cellulare, potrebbe aiutarci a raggiungere nuovi limiti e principalmente — secondo Ameisen — a fare a meno di quella spiacevole parentesi che è l'invecchiamento.

Franco Prattico

 

Leadership Medica (Italie) marzo 2001

Al cuore della vita

Jean Claude Ameisen, immunologo e biologo di chiara fama, è tra i maggiori esperti di quel meccanismo affascinante e ancora misterioso chiamato apoptosi o “morte cellulare programmata”. Ora ha scritto un libro destinato a divenire una guida nel suo settore. Pur essendo un argomento complesso e di non facile spiegazione J.C. Ameisen è riuscito a rendere il testo divulgativo, con continui rimandi interdisciplinari appropriati e con uno sviluppo delle argomentazioni schematico e preciso. Si ha la sensazione, camminando nel sentiero che egli traccia di dover giungere a contemplare quella che è “La sculture de vivant”, come dice il titolo in originale, cioè l’uomo che la morte scolpisce ogni giorno. Quella morte che non è più fato avverso bensì chiave necessaria per accedere a nuove forme di vita. Il ricercatore penetra nella natura reale di un fenomeno quale il “suicidio cellulare” o “la morte programmata” o “l’altruismo cellulare”, con un atteggiamento lucido, pragmatico, ma non freddo e cinico, senza la pretesa di giungere a considerazioni antropologiche, etiche o ancor meno filosofiche affrettate, ma con la consapevolezza che c’è ancora tanta strada da fare per arrivare al cuore della vita. Apoptosi è un termine, entrato nel lessico biomedico nel 1972 per definire il meccanismo di frammentazione interno alla cellula che la porta al collasso e alla morte. In greco, infatti, indica la caduta, il distacco e fu usato in senso medico già da Ippocrate per definire il calo delle ossa in cancrena. In pratica si sta delineando con sempre maggior precisione che “noi siamo società cellulari formate da componenti ciascuna delle quali vive ‘in sospeso’ e nessuna può sopravvivere da sola. Il destino delle nostre cellule dipende in permanenza dalla qualità dei legami provvisori che è capace di intessere con il suo ambiente.” Ogni cellula vive in quanto le viene impedito il suicidio. E tutti i rapporti di interdipendenza e di repressione permanente della “morte prima del tempo” plasmano le società viventi, le regolano secondo schemi complessi, ma non incomprensibili, e soprattutto animano le comunità di un solo destino dove la morte del singolo è funzionale alla vita del tutto, tanto da autodeterminarsela (nel caso fosse necessario) alla realizzazione dell’insieme. Affascinante cambio di prospettiva sulla nascita e sviluppo non solo dell’universo cellulare che ci compone, ma anche della storia dell’umanità, delle sue civiltà, dove in fondo, provoca l’autore, la pena di morte altro non è che una delle manifestazioni estreme del rapporto che alcune comunità umane stabiliscono tra il mantenimento dell’ordine sociale e l’idea della morte come minaccia incombente per mantenere un ordine sociale. Il potere ultimo è sempre in chi ha l’autorità per sospendere o meno l’esecuzione, di decidere della vita e della morte dunque anche nella collettività umana, sostiene Ameisen esistono degli esecutori che sono “i guardiani e i simboli dell’interdipendenza di fondo sul quale sono costruite le nostre società”. Qui, però, si entra in un campo dove la verificabilità non ha più i parametri della scienza, le domande diventano oggetto di riflessione, di indagine e di dibattito per l’umanità che da sempre tenta risposte sulla vita e sulla morte. Certo è che la teoria spiegata da Ameisen sconvolge il nostro vecchio modo di rappresentare il nostro corpo, modifica l’idea di malattia, di invecchiamento, apre nuove frontiere per la cura di malattie tremende come il cancro, il morbo di Parkinson o l’Alzheimer. Alla fine di questo percorso si esce con un senso di stupore, e di intima consapevolezza che nulla potrà sembrare più ciò che era prima.

Luisa Miccoli

 

Version anglaise :

Leadership Medica (Italie) marzo 2001

Getting to the heart of life

Jean Claude Ameisen, eminent immunologist and biologist, is among the greatest experts on the fascinating and still mysterious mechanism called apoptosis or “controlled cell death”. He has now written a book that is bound to become a guide in this sector. Even though the book deals with a complex subject, which is not easy to put in plain words, J.C. Ameisen has succeeded in producing a popular work, full of appropriate interdisciplinary cross references and with a schematic and accurate development of arguments. As you proceed along the track he opens, you develop the feeling that you are about to contemplate “La sculture de vivant”, as the original title says, that is man as death sculptures him every day. Death here is no longer viewed as adverse fate but as a necessary access key to new forms of life. The researcher explores the nature of a phenomenon which goes under the name of “cell suicide”, or “controlled death” or “cell altruism” with an attitude which is clear and pragmatic, but not cold or cynical; he does not attempt to reach hasty anthropologic, ethic and least of all philosophical conclusions, but he is fully aware of the fact that there still is a long way to go to get to the heart of life. Apoptosis is a term that became part of the biomedical lexicon in 1972 to describe a mechanism of internal fragmentation of the cell, which leads it to collapse and die. Indeed, in Greek it means collapse, detachment, and Hippocrates already used it in medical terms to describe the decay of gangrening bones. In actual fact the concept which is emerging with ever growing clarity is that “we are cellular societies whose individual components live ‘in suspense’, none of them having the ability to survive on its own. The destiny of our cells permanently depends on the quality of the temporary links it is able to establish with its own environment.” Each cell exists in that its suicide is prevented. And all the relations based on interdependence and on permanent repression of “death before time” mould the communities of living beings, regulating them according to complex but not incomprehensible schemes, and above all provide society with a sole destiny where the death of the individual has a functional role in the life of the whole, so much so that death is self-activated when necessary for the realisation of the whole. This is a fascinating change in perspective on the subject of birth and development, not only of the cellular universe we are composed of, but also of the history of mankind and of civilization, where in fact (as the author provocatively suggests) death penalty is actually one of the extreme expressions of the relation which certain human communities establish between the enforcement of public order and the idea of death as an impending threat to maintain this order. The ultimate power is always held by him who has the authority to stop the execution, to decide life or death; Ameisen states that therefore human communities also have their executors who are “the guardians and symbols of the underlying interdependence on which our societies are based.” However, we enter here a field where controllability is no longer based on scientific parameters: questions become the subject of reflection, investigation for mankind who has always felt about for an answer to the problem of life and death. What we can positively state is that Ameisen’s theory badly upsets our traditional representation of our body, it modifies the concept of disease and aging, it opens new doorways to the treatment of terrible diseases such as cancer, Parkinson’s disease and Alzheimer’s disease. At the end of this journey the reader is left with a sense of astonishment and an inner awareness that nothing will ever be again as it used to appear.

Luisa Miccoli

 

Margherita Bologna. Neuroscienze e Scienze complesse. Res Cogitans, Scenari, Scienza Filosofia.

Se il gatto non c’è il ghigno rimane.
Evoluzione e conservazione nelle scienze complesse

Per spiegare al pubblico di Spoletoscienza, la ricorrente iniziativa di divulgazione scientifica promossa dalla Fondazione Sigma Tau, il processo di autodistruzione cellulare, Jean Claude Ameisen, medico e ricercatore, autore del pluripremiato libro Al cuore della vita, riprende un'immagine tratta dalle avventure di Alice nel paese delle meraviglie.     
Alice vede scomparire il gatto con la punta della coda finché non rimane che il ghigno e dice di avere visto spesso dei gatti senza ghigni ma ghigni senza gatti mai.

E' un po' quello che succede nel nostro corpo quando una cellula si autodistrugge: essa non c’è più ma lascia una traccia persistente, il segno della sua morte. Nella costruzione degli esseri viventi la morte non si oppone alla vita. La morte inizia pochi giorni dapo il nostro concepimento. Contribuisce non solo alla costruzione della forma dell'embrione ma plasma gli organi più complessi del nostro corpo come il cervello e il sistema immunitario.

Con un termine ambiguo perché presuppone un programma preordinato questo processo viene definito apoptosi o morte cellulare programmata. In realtà non c'è un programma determinato da informazioni genetiche che prestabilisce il destino di vita o di morte di una cellula ma è il contesto nel quale si realizza la probabilità di una interazione con altre cellule che determina la vita o la morte della cellula stessa. Le nostre cellule non sono in grado di vivere da sole. La loro sopravvivenza dipende dalla capacità di percepire e interpretare i segnali emessi dalle altre cellule del nostro corpo.

Se cambia l’ambiente nel quale vivono (manca per esempio l'ossigeno o le sostanze nutritive) la cellula fraintende, percepisce erroneamente i segnali che le provengono dall'esterno ed attiva prematuramente il processo di autodistruzione.

Nella maggior parte dei casi l'insorgere delle malattie è dovuto ad uno scompenso nel meccanismo di morte cellulare.

Ad un'analisi più approfondita l'intreccio tra strumenti di morte e di vita operanti nelle cellule rivela un alto grado di complessità anche negli organismi più semplici. La capacità di autoorganizzarsi che è una caratteristica peculiare della vita si realizza pagando un prezzo, quello dell'autodistruzione. Visti in questa ottica i programmi di morte non sono altro che variazioni di quei programmi di vita che consentono la sopravvivenza delle cellule. Paradossalmente sostiene Ameisen- è possibile che la capacità di inventare varie forme di autodistruzione sia in realtà uno dei modi che ha consentito il fatto che la vita duri da tanto tempo.

http://spazioinwind.iol.it/informascienza/Biblioteca/indicextitolo.htm

Al cuore della vita. Il suicidio cellulare e la morte creatrice di Jean Claude Ameisen

“OGNUNA DELLE NOSTRE CELLULE possiede in ciascun momento e durante l’intero arco della sua esistenza la facoltà di autodistruggersi in poche ore. E la sopravvivenza dell’insieme delle cellule di cui siamo composti – la nostra stessa sopravvivenza – dipende dalla loro capacità di trovare nell’ambiente esterno al corpo i segnali che consentono di reprimere, giorno dopo giorno, lo scatenarsi del suicidio”. Così scrive Jean Claude Ameisen nel suo best-seller Al cuore della vita – Il suicidio cellulare e la morte creatrice. Medico e ricercatore specializzato in immunologia all’Università di Parigi, Ameisen ha messo la sua notevole capacità di scrittura e le sue altrettanto notevoli conoscenze filosofiche al servizio dell’elaborazione di uno dei concetti più rivoluzionari della biologia molecolare: la scoperta del suicidio cellulare. Come scrive più avanti: “Per ciascuna delle nostre cellule vivere significa aver saputo impedire, per il momento, il suicidio. In un modo sconvolgente, contro-intuitivo, paradossale, un evento positivo – la vita – nasce dalla negazione di un evento negativo – l’autodistruzione”. Questa visione, come sottolinea l’autore, è destinata a sconvolgere la rappresentazione che ci facciamo del funzionamento del nostro corpo mentre, al contempo, costringe i ricercatori a una radicale reinterpretazione delle cause della maggior parte delle malattie aprendo nuove prospettive terapeutiche.

All’inizio degli anni Sessanta si riteneva che le cellule fossero entità immortali e che la loro morte fosse un evento patologico causato da eventi traumatici che andavano a perturbare l’equilibrio fra cellule e ambiente circostante. Si sapeva, ad esempio, che l’aumento o la diminuzione improvvisa della temperatura, dell’ossigeno o delle sostanze nutritive, o l’avvelenamento da tossine, potevano portare alla necrosi di vaste porzioni del tessuto colpito. La morte cellulare appariva quindi come un fenomeno non fisiologico e dannoso per l’organismo. In seguito Leonard Hayflick dimostrò invece che le colture in vitro non si mantenevano indefinitamente, ma si esaurivano spontaneamente dopo un certo numero di duplicazioni. Apparve chiaro, dunque, che anche le cellule invecchiavano e morivano. Nel 1965 John Kerr, studiando il fenomeno negli epatociti, descrisse un nuovo tipo di morte cellulare con caratteristiche molto diverse dalla necrosi. Nel 1972 lo stesso Kerr, insieme a Searle, propose di chiamare questo tipo di morte cellulare apoptosi, dal termine greco col quale si indica la caduta stagionale delle foglie.  

A differenza della cellula che muore di morte violenta, la cellula in preda all’apoptosi perde rapidamente volume, si stacca dalle cellule vicine e lancia segnali alle cellule vicine. Per segnali s’intende il rilascio di alcune componenti, che normalmente sono nascoste o poco espresse, nella membrana cellulare. I segnali vengono immediatamente riconosciuti dalle cellule vicine e, a quanto pare, interpretati come un perentorio “mangiami”: le cellule infatti fagocitano letteralmente la cellula morente senza lasciarne traccia.         

Un altro particolare importante che venne notato dai ricercatori è che all’inizio del processo di autodistruzione l’organizzazione della cellula viene mantenuta anche se il nucleo si disgrega e i cromosomi vengono frammentati. Il Dna degradato si sposta verso la membrana cellulare, dove si raggruma in una specie di bolla. Alla fine le bolle si staccano dalla cellula trascinando con sé parte del citoplasma e del materiale nucleare e dando origine ai cosiddetti “corpi apoptotici” che vengono fagocitati dalle cellule vicine, senza che fuoriesca nemmeno una goccia di uno dei tanti liquidi che la cellula normalmente usa per degradare il materiale di scarto, e che potrebbero avere effetti nocivi sulle cellule circostanti. Tutto il processo si compie in meno di due ore e colpisce solamente alcune cellule all’interno di un tessuto, in modo estremamente selettivo.         

Inizialmente si pensò però che l’apoptosi, o il suo mancato funzionamento, fosse coinvolta in una serie di malattie, dai tumori alle malattie autoimmuni, ma poi ci si cominciò a rendere conto che aveva un ruolo centrale anche nel normale funzionamento dell’organismo, come ad esempio nel ricambio cellulare. Poi ci si rese conto che il campo d’azione del suicidio cellulare è ancora più ampio, fino a scoprire che è parte integrante dello sviluppo embrionale e fetale dell’organismo. La prima funzione “normale” riconosciuta alla morte cellulare è proprio quella di essere lo strumento che consente all’embrione di elaborare la propria forma attraverso un procedimento paragonabile alla scultura. È la morte cellulare che, a ondate successive, scolpisce le nostre braccia e le nostre gambe a partire da semplici abbozzi, man mano che crescono, dalla base alle estremità. All’interno dei nostri avambracci la morte crea lo spazio che separa le ossa e poi scolpisce le estremità degli arti. La mano nasce nella forma di una manopola, un palmo che contiene cinque rami di cartilagine che si proiettano a partire dal polso e prefigurano le dita. È la morte che, a questo punto, fa brutalmente sparire i tessuti che congiungono la parte superiore di questi rami.     

La morte cellulare è essenziale anche nello scolpire la forma interna dell’embrione: alcuni giorni dopo la fecondazione, la morte spazza via la maggior parte delle cellule che occupano il centro della scena, creando improvvisamente lo spazio vuoto necessario per far posto alle cellule che, migrando, si differenzieranno per dar luogo al tubo digerente, al fegato, ai polmoni… La vita sorge solo a patto che si sia verificato questo suicidio collettivo sincronizzato di cellule, durante il quale ne perisce la maggior parte. Ma l’apoptosi non si limita a scolpire l’embrione. Riveste un ruolo determinante sia nella formazione del sistema nervoso centrale che nella selezione timica che è alla base dello sviluppo del sistema immunitario. Per questo, come scrive ancora Ameisen: “I regni del suicido cellulare cono conoscono frontiere. Il nostro corpo di bambini, prima, poi di adulti, è simile a un fiume che si rinnova incessantemente. E i territori che – per un periodo determinato – persistono in noi sono fragili quanto quelli che scompaiono e rinascono giorno dopo giorno. È questa stessa fragilità, questa precarietà, questo rinvio permanente a costituire la vera fonte della nostra potenza e della nostra complessità permettendo, in ogni momento, ai nostri corpi di scolpirsi, di ricostruirsi, di ricomporsi e di adattarsi a un ambiente in continuo mutamento”.       

Sabina Morandi


Jean Claude Ameisen, medico e ricercatore, è professore di immunologia all’Università Paris 7 e presso il Centro ospedaliero universitario Bichat.
Dirige inoltre un’équipe di ricerca dell’Inserm, l’istituto Nazionale di Sanità e Ricerca Medica. Scienziato di grande fama, è tra i massimi specialisti mondiali sulla "morte cellulare programmata". Il libro ha ottenuto il prestigioso Prix Biguet de littérature et de philosophie de l’Académie Française e il premio Jean Rostand per la divulgazione scientifica.

fonte: www.boiler.it


Jean-Claude Ameisen, Al Cuore Della Vita, Il suicidio cellulare e la morte creatrice

Descritta nella prima metà del XX secolo l'apoptosi o suicidio cellulare è rimasta a sonnecchiare per decenni sullo sfondo della ricerca biologica, finch'è è riemersa in modo preponderante come nuova frontiera della ricerca scientifica più avanzata. Si tratta della facoltà insita di ogni cellula di innescare la propria autodistruzione. Di continuo e in ogni momento, la cellula fabbrica dentro di sé i propri "agenti di esecuzione capitale", sottoforma di una catena enzimatica autodistuttiva. Ancor di più: la cellula sopravive solo perché riceve dall'ambiente circostante dei segnali che le vietano di uccidersi. Minuto per minuto, l'apparato suicida delle cellule viene "represso" dai messaggi delle altre cellule. Vivere, per una cellula, è riuscire a captare i "segnali" che proibiscono il suicidio cellulare. I "segnali" arrivano come sostanze biochimiche dalle cellule circostanti, o dall'organo di cui la cellula fa parte, o dall’intero organismo, per lo più come ormoni. Se non ascolta quei segnali, la cellula si uccide. In un primo momento si era ritenuto che il suicidio cellulare fosse una prerogativa degli organismi più complessi. Ameisen mosta invece, con un percorso a ritroso che risale all'era monocellulare batterica, che l'apoptosi si è sviluppata dall’inizio dell'evoluzione proprio nel cuore stesso della vita più semplice. Anche l'attività cerebrale, la mente e la coscienza, devono tutto alla apoptosi, al suicidio selettivo di cellule. I neuroni vivono finché trovano collegamenti che impediscono loro di morire. Niente collegamenti, niente vita. In ogni parte dell'organismo è cosi: cio' che non funziona, si auto-elimina, cosi' che vivere è essere interdipendenti. Esiste un controllo sociale della morte e della vita. Un'auto-organizzazione misteriosa che ordina alla parte di continuare a vivere mentre la cellula isolata innesca la propria esecuzione. Ogri secondo, un milione di cellule si suicidano nel nostro corpo e vengono sostituite da altre cellule nuove in un flusso continuo di vita\morte. Questa nuova visione della morte cellulare apre la strada a nuove cure: per malattie come l'Alzhreimer o l'Aids, che consistono proprio nel fatto che troppe cellule si autodistruggono o per il cancro che, al contrario, non viene piu' frenato dall'apoptosi e si diffonde superando le barriere che i vari organo oppongono alle cellule loro estranee. E' presto per dire se la riscoperta dell'apoptosi, che risale ad una decina di anni fa', sia destinata a sconvolgere le ipotesi esplicative tradizionali della vita e a costitiuirsi in nuovo e rivoluzionario paradigma scientifico. Il libro di Ameisen ricostruisce con chiarezza e con frequenti riferimenti culturali al mondo classico e alla mitologia la cronistoria delle affascinati scoperte e dei nuovi scenari aperti dal suicidio cellulare.

 

 Avvenire-22 /11/2002

I pericoli di Faust

 

Il biologo cellulare Ameisen: "È meglio prendere atto per tempo che prima o poi si creerà la vita in provetta. Dati i rischi, non potendo vietare la ricerca, bisogna decidere fino a che punto spingerci. Craig Venter è un po' ingenuo" "Manipolando i processi vitali si tocca qualcosa la cui caratteristica è l'imprevedibilità. Per cui se si opera senza regole si può fare un danno superiore ai benefici che possono venire per l'uomo"

Craig Venter, il mago americano della mappatura del Dna come iniziativa privata, ha annunciato di essere sul punto di fabbricare la prima forma di vita artificiale. "Ciò che sta facendo non sembra fondamentalmente diverso da una manipolazione genetica delle tante", dice però Jean-Claude Ameisen. Immunologo all'università Paris VII, dirigente di un laboratorio dell'Inserm francese, Ameisen è l'autorità mondiale nei processi di morte cellulare ("apoptosi" è il termine tecnico).

Dunque siamo ancora lontani dalla "vita artificiale"?

"Craig Venter, a quel che pare, svuota una cellula naturale (quella del Mycoplasma genitalium, un microrganismo responsabile di certe infezioni sessuali) del suo patrimonio genetico, e vi introduce invece un "stringa" di geni da lui sintetizzata, sperando che questi bastino a far replicare la cellula. In un certo senso, è come mettere un cuore artific iale in un uomo: mica si annuncia di aver creato l'uomo artificiale".

Mi faccia capire meglio.

"Lo dico in altre parole: il materiale genetico è un "libro di istruzioni", le cui informazioni vengono utilizzate dalla cellula. La cellula è quella che "legge" le istruzioni. Ora, a quel che pare, la ricerca consiste nel cambiare il "libro"; ma non viene cambiato il lettore. L'8 agosto scorso, su Science, è apparso il resoconto di un esperimento molto simile: iniettando il Dna di un virus artificiale in un estratto di cellule, si è ottenuto un virus "fabbricato", nel caso un virus della polio. Il segreto è nell'estratto di cellule: ogni virus, come si sa, deve inserire il proprio materiale genetico in una cellula-ospite (che infetta) per approfittare parassitariamente della capacità della cellula di replicare il Dna. Quando si modifica una cellula vegetale per farle produrre insulina, classico caso di manipolazione di Ogm, non si fa' una cosa molto diversa. Ma insisto: fabbricare libri è più facile che fabbricare lettori".

Quindi non si arriverà mai a fabbricare la vita?

"Il consenso della comunità scientifica è che si può. Non c'è una ragione teoretica che per pensare il contrario. E' questo il punto eticamente e filosoficamente cruciale: per la scienza, la vita è esclusivamente "materia", una sequenza atomi. Molecole, solo molto complessa. Insomma crede che non ci sia alcun principio misterioso, magico, nascosto nella cellula viva. E' la strada che la scienza ha preso da Newton in poi: sbarazzarsi del vitalismo".

Se la cellula vivente è una "macchina" di atomi e molecole, è possibile ricopiare il meccanismo.

"In teoria sì. In pratica è difficile, perché appunto quel meccanismo è st raordinariamente complicato, e fino ad oggi non lo conosciamo bene. Ma fra venti anni o cento può accadere".

Beh, c'è tempo.

"È meglio cominciare a pensarci adesso. Non ci si può più cullare nella convinzione che "la vita non si potrà mai fabbricare", e quindi è inutile pensarci. Pensiamoci invece. Non parlo di vietare, che è impossibile; ma riflettiamoci prima che accada".

Perché? È pericoloso?

"Ogni avanzamento scientifico è potenzialmente benefico, e potenzialmente molto pericoloso. La produzione di Ogm può darci nuove medicine, e nuove atroci armi batteriologiche. Quello che sta facendo Craig Venter è ancor più pericoloso delle manipolazioni genetiche, che sono già pericolosissime".

Pericolossime?

"Ovvio: quando si va a manipolare i processi della vita, si mette mano in qualcosa la cui caratteristica essenziale è l' imprevedibilità. In questo, Craig Venter è alquanto ingenuo quando dice: la mia "cellula sintetica" la fabbricherò in modo da non aderire alle cellule umane. È un po' come se creasse un dinosauro, e dicesse: tranquilli, la gabbia è solida".

Oddio!

"Per questo è meglio porsi subito la domanda: creare vita artificiale perché? I vantaggi sono superiori ai rischi?"

Lei però è contrario ai divieti.

"Perché sono inutili. Ma forse proprio in questo campo, più che in ogni altro, è il caso di dirci: si, noi possiamo fabbricare la vita. Ma non vogliamo".

Maurizio Blondet

 

L'Unita'-22 /9/2002  

La morte nacque sotto forma d'amore   
Con la riproduzione le cellule del nostro corpo si «suicidano» per dare vita a nuove cellule

Quando ci guardiamo nello specchio, di mattina, sappiamo di essere vivi, di avere un nome, un lavoro, degli amici, una fidanzata, una moglie, un'amante. Ci riconosciamo. L'immagine riflessa nello specchio si salda istantaneamente al nostro Io, a quello che pensiamo di essere. Siamo noi insomma e nessuno ci potrà facilmente convincere del contrario. E' da una vita che siamo abituati a riconoscerci anche se il nostro aspetto è così cambiato nel tempo che a volte stentiamo a capire che quel signore che ci osserva in modo così indiscreto dal cristallo di una vetrina siamo proprio noi.

In verità, potremmo essere morti senza neppure accorgercene perché in noi tutto cambia, il nostro corpo rinnova completamente le sue cellule ogni sette anni. Del vecchio corpo non resta assolutamente niente. Le cellule sono morte e rinate senza che noi ce ne fossimo mai accorti perché, in realtà, siamo un microcosmo, una nebulosa costituita da una popolazione eterogenea di migliaia di miliardi di cellule le cui interazioni generano tutto quello che siamo e che pensiamo. Quello che vediamo nello specchio non è il nostro volto ma un paesaggio composto da minuscoli esseri viventi che da miliardi di anni trascinano attraverso lo spazio e il tempo, le mutevoli incarnazioni della vita e della morte.

In genere, siamo portati a credere che questo punto finale, la morte appunto, metta fine in modo piuttosto definitivo al nostro Io e soprattutto a quell'immagine che il nostro corpo rappresentava nel mondo. L'unica forma di sopravvivenza è la riproduzione, il brutale trasferimento dei nostri geni in un altro corpo che a sua volta potrà riprodursi in una corsa seno fine. Noi saremmo, essenzialmente, «macchine da sopravvivenza» (la definizione è del grande etologo Niko Tinibegen), involucri ciecamente programmati per conservare quelle molecole egoiste che sono i nostri geni, consentendo loro di navigare nell'eternità del tempo. Tutto quello che nel corso della vita è stato creato, emozioni, bellezza, amore, dolore ecc., sarebbe solo un mutevole ornamento del viaggio eterno e senza orizzonte dei geni. Sé questa visione riduzioni sta e assai diffusa tra i biologi e neo-darwiniani fosse vera, la morte sarebbe nient'altro che il ritorno degli elementi organici alla loro origine, il termine di una funzione. In realtà la morte è qualcosa di molto più complesso e vitale. Lo scopo della morte, la sua nascita e, in un senso per niente paradossale, la sua funzione creatrice, sono le tappe percorse da Jean Claude Ameisen, nel suo libro straordinario Al cuore della vita.

La prima cosa che impariamo sulla morte è che ha una storia, una data di nascita che forse non molti vorranno festeggiare. Sbagliando. Alcuni miliardi di anni fa le cellule non conoscevano la morte. La loro funzione era quella dì esistere, sdoppiandosi, dividendo i loro geni in parti uguali per distribuirli a caso nell'eternità. Un'eternità cieca, monotona, terribilmente uguale a se stessa, viva e morta allo stesso tempo. Era il regno degli organismi unicellulari, dei batteri, i nostri più antichi antenati che hanno colonizzato la Terra, l'hanno plasmata, modificata riempiendo l'atmosfera dell'ossigeno che ci fa respirare. Questi organismi unicellulari oggi sono ancora tra noi, più numerosi di qualsiasi altro essere vivente. La divina invasione della morte ha invaso il loro regno, popolandolo di animali e di piante ma non li ha cancellati perché sono costretti all'eternità.

E' in un periodo intorno a un milione di anni fa (riuscite a immaginarlo?) che appare la morte sotto forma d'amore. Chi si chiede cosa fossimo prima di nascere può darsi questa risposta. Una potenzialità già presente nel tempo, ma frammentata, dispersa tra due cellule separate, lontane, appartenenti a due nebulose distinte che a un tratto, per caso, si attraggono e si congiungono fondendosi in una nuova cellula, una cellula uovo. Qualsiasi cosa osserviamo, compresi gli occhi con cui la osserviamo, è testimone di un evento familiare e misterioso. Una cellula unica fa sorgere un intero universo, un corpo d'uccello, un albero, una farfalla, un embrione. Un universo che cresce, si sviluppa e svanisce dopo aver prodotto altre cellule uovo da cui sorgono nuovi universi. Questa cellula unica nasce dalla morte e dalla morte riceve il suo alimento e la sua forma. La prima frattura nella simmetria dell'eternità avviene con la grande novità della riproduzione sessuale. Improvvisamente alcuni individui smettono di riprodursi con la semplice divisione cellulare ma emettendo delle cellule particolari, i gameti, che mescolandosi alle cellule di un altro individuo di sesso differente producono un essere nuovo, una variazione potente che comporta l'invecchiamento e la morte dei genitori che gli ha dato la vita.

L'immortalità dei batteri è sinonimo di conservazione mentre la sessualità e la morte assicurano il cambiamento, la creatività, l'evoluzione e la coscienza. Senza di loro saremmo ancora allo stadio dei batteri e, nell'arco di qualche miliardo dì anni di evoluzione saremmo, a malapena diventati una alga bluastra capace di vivere senza ossigeno. Nessuna scimmia nuda si sarebbe alzata in piedi, in mezzo alla savana, per giungere fino a noi dopo milioni di anni.

Se ascoltiamo le pulsioni profonde con cui l'inconscio nutre il nostro cuore, risulta ancora più evidente che i nostri veri genitori sono la Sessualità e la Morte. Ma è nel cuore stesso della vita che si nasconde il segreto della creatività della morte. E' il cosiddetto suicidio cellulare, la misteriosa capacità che hanno le nostre cellule di distruggersi in qualsiasi momento durante lo sviluppo dell'embrione. Intere parti appena formate del corpo muoiono inspiegabilmente per lasciare posto ad altre cellule che ne rimodellano la mutevole architettura secondo un progetto di cui ignoriamo il senso. Questa coreografia misteriosa, che proviene dall'abisso del tempo, ci conduce in un regno ancora inesplorato, in una dimensione nascosta dove vita e morte smettono di opporsi e si confondono.

Ugo Leonzio.

 

"www.galileo.it" , 26/03/2002

Il suicidio vitale

Fino agli anni Sessanta si riteneva la morte cellulare un fenomeno non fisiologico e dannoso per l'organismo. Gli studi di Alexis Carrel dimostrarono che le cellule erano entità immortali e che la loro morte era un evento patologico legato a grossolane perturbazioni dell'omeostasi, che portavano alla necrosi del tessuto colpito. Successivamente Leonard Hayflick dimostrò che le colture in vitro non si mantenevano indefinitamente ma si esaurivano spontaneamente dopo un certo numero di duplicazioni: le cellule, quindi, invecchiavano e morivano fisiologicamente. Poi nel 1972 John Kerr, descrisse un nuovo tipo di morte con caratteristiche diverse da quelle della necrosi, che chiamò, insieme a Searle, apoptosi, dal termine greco con il quale si indicava la caduta delle foglie dagli alberi o dei petali dai fiori. Tale termine venne usato sia da Ippocrate per descrivere il calo delle ossa dovuto alla cancrena, sia da Galeno per la descrizione della caduta delle croste. Proprio Jean Claude Ameisen, eminente immunologo e biologo, è tra i maggiori esperti dell'affascinante e ancora misterioso meccanismo. Ciascuna delle nostre cellule possiede un favoloso potere: quello di autodistruggersi nel giro di poche ore. Questa attitudine al suicidio è vitale. Senza l'apoptosi, l'embrione resterebbe una massa informe. Il cervello, sarebbe troppo pieno di neuroni per funzionare in maniera corretta e il sistema immunitario, dopo aver ottenuto la vittoria sull'infiammazione, non saprebbe che fare delle sue armate di cellule specializzate, andando incontro a dei grossi problemi. "Per ciascuna delle nostre cellule, vivere, è essere riusciti a impedire, per una volta, il suicidio". L'apoptosi permette in ogni istante al nostro corpo di modellarsi, di ricostruirsi e di adattarsi, ma si tratta di un territorio su cui può essere pericoloso avventurarsi, perché non è decisamente un tema di ricerca comune. La nozione di "suicidio cellulare" è recente. Questa nuova visione ribalta l'idea che noi abbiamo della vita, permettendo una reinterpretazione delle cause della maggior parte delle nostre malattie e del processo di invecchiamento. Essa apre nuove vie di cura (è il caso di gravissime malattie come l'Alzheimer, il Parkinson e il cancro) e, infine, si è sempre più convinti che essa sia la chiave per spiegare l'evoluzione della specie. All'immagine antica della morte come di una "falciatrice brutale" si contrappone un'immagine radicalmente nuova, quella di uno scultore nel cuore del vivente, che fa emergere la sua forma e la sua complessità. Ciò che propone il libro è un viaggio alla scoperta di una delle più belle avventure della biologia del nostro tempo che ci permette anche di provare quanto la scienza può talvolta entrare in risonanza con i nostri interrogativi più intimi e più antichi. La scienza sa, qualche volta, raccontare delle belle e vertiginose storie da leggere e rileggere tutte d' un fiato. L'autore ha realizzato un vero capolavoro fornendoci un testo scientifico che si legge come un romanzo avvincente tra i più belli degli ultimi anni; con un talento pedagogico notevole, senza usare un vocabolario tecnico, mette alla portata del profano le scoperte recenti in questo campo. Lavoro notevole, che ci porta a riflettere sulla vita e sulla morte, trascinandoci in una vertiginosa riflessione filosofica, servendosi di una esposizione limpida ma dotta.

Gian Carlo Mancini


 La Repubblica-21 /10/2001

Quando è il microbo a destare i nostri incubi
Un un incontro fra scienziati al Centro Pio Manzù

L'attacco bio-terroristico di questi giorni scuote le certezze degli scienziati. Jean Claude Ameisen, immunologo dell'università di Parigi, fa una specie di autocritica al seminario del Centro ricerche "Pio Manzù" (Il fuoco nel cristallo, Grand Hotel e Teatro Novelli, fino a lunedì). "Pensavamo di avere sconfitto per sempre i virus e i batteri che per secoli hanno flagellato l'umanità, ma ora ci troviamo di nuovo a fronteggiare epidemie, prima quella dell'Aids e adesso il vaiolo, l'antrace e quant'altro il terrorismo sta apparecchiando". Poco importa se l'offensiva dei germi è opera di terroristi: abbiamo sottovalutato i pericoli, archiviato il vaiolo come un reperto archeologico, preso l'antrace sottogamba, e ora tremiamo di paura.

"Per il vaiolo non esistono trattamenti perché da vent'anni non facciamo più ricerca su questo vettore d'infezione", continua Ameisen, che è il maggior studioso di apoptosi, o morte cellulare programmata. In questa constatazione è implicito l'imperativo di non voltare le spalle alla scienza neppure nel disorientamento. "Al contrario, la scienza è proprio un'arma da usare contro il caos nel quale il terrorismo ci sta facendo precipitare".

Dunque rinnovato impegno nella scienza. Ma con una avvertenza. "La presunzione di regolare il mondo che gli scienziati hanno a lungo coltivato", dice il biologo, "deve lasciare il posto a una visione meno egemonica della natura". Due miliardi di anni fa, l'avvento dei batteri aerobi, che tramite la fotosintesi clorofilliana cominciano a produrre ossigeno, uccide il 90 per cento delle specie viventi che non sopportano il gas. In epoca storica, viaggi e migrazioni trasportano bacilli da una parte all'altra del globo causando ecatombi di ogni genere: nell'Ottocento il vaiolo uccise più di cento milioni di persone nel mondo. "In natura", dice Ameisen, "la lotta è uno stato abituale e ogni pretesa di indurre un equilibrio nel flusso degli eventi destinata a naufragare". Le disgrazie che ci stanno precipitando addosso dall'11 settembre dovrebbero farci abbandonare l'idea di sconfiggere i microbi e indurci a tornare al microscopio. I patogeni che possono essere usati da pazzi e terroristi sono ancora molti, basti pensare al virus Ebola o a quello dell'Aids modificato ad arte per renderlo invulnerabile. Meglio conoscerli e prepararsi.

Giovanni Maria Pace

Vous pouvez voir la 29e conférence Marc Bloch, « Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses. La mort et la sculpture du vivant », par JC Ameisen, sur le site : http://cmb.ehess.fr/document233.html
Mardi 12 juin 2007.

"... pour la première fois dans l’histoire de la Conférence, nous accueillerons un savant venu non pas des sciences sociales, mais des sciences de la vie. Jean Claude Ameisen, médecin et biologiste, est l’auteur de La sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, il est l’un des grands spécialistes mondiaux de l’apoptose, ou mort cellulaire programmée. Ce moment sera l’occasion de marquer avec un éclat particulier notre souhait – également affirmé dans notre contrat quadriennal et lors de nos journées de rentrée, en novembre dernier – que l’École [l'EHESS] puisse constituer un lieu privilégié de l’interlocution entre les sciences humaines et sociales et les autres sciences. Interlocution, plutôt qu’interface : pour parvenir à construire une relation d’échange et d’interpellation réciproque, il est nécessaire de tenir à distance le rapport fasciné et paralysant que développent couramment les sciences sociales à l’égard du modèle d’objectivité qu’elles prêtent aux sciences dites "dures". Et il n’est pas moins nécessaire de résister, en même temps, à l’enfermement des sciences sociales dans la position ancillaire que ces mêmes sciences dures sont parfois portées à leur assigner, entre études d’impact et supplément d’âme éthique. Le dialogue passera notamment, grâce à Jean Claude Ameisen, par l’interrogation des représentations, et par la mise à jour des agencements et déplacements de langage qui commandent la construction et la reconstruction des objets dont traitent les sciences de la vie : l’origine et l’évolution du vivant, la frontière entre l’animé et l’inanimé, le lien – qui n’est pas de simple dégradation – entre le vieillissement et la jeunesse, etc. Faisant jouer des variations d’approche de plus en plus subtiles, le biologiste s’emploie à restituer, à travers les recompositions successives de ses objets, la complexité des rapports entre la vie et la mort, au-delà de l’antinomie tracée entre deux états exclusifs l’un de l’autre. Cette complexité s’inscrit – au cœur de la cellule aussi bien que dans la trajectoire lointaine de l’évolution – dans le pouvoir d’autodestruction qui lie indissociablement la vie à la mort. Le retour réflexif sur les logiques de ces variations de point de vue et de ces recompositions d’objets ouvre la question de l’émergence et de la transformation des concepts scientifiques : une question qui est, par excellence, le lieu de l’interpellation mutuelle des sciences humaines et sociales et des autres sciences." Editorial de Danièle Hervieu-Léger, présidente de l'EHESS In: La Lettre de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales n° 12, Avril 2007.

 

The 100th anniversary of Ilya Ilyich Metchnikoff’s Nobel Prize was celebrated at the Institut Pasteur, Paris on April 2008, with the symposium, Metchnikoff’s Legacy in 2008 organised by Matthew Albert, Marc Daëron, James Di Santo, Philippe Herbomel, Marc Lecuit and Geneviève Milon. Invited speakers: Alan Aderem, Jean Claude Ameisen, Sebastian Amigorena, Bonnie Bassler, Sydney Brenner, Max Cooper, Betty Diamond, Gerald Edelman, R. Alan B. Ezekowitz, Michel Fougereau, Jeffrey Gordon, Alan Hall, Michael  Hengartner, David Hume, Richard Lang, Michel Mallat, Margaret Mcfall-Ngai, Lynn Margulis, Paul Martin, Marie Meister, Ira Mellman, Matthew Meselson, Shigekazu Nagata, Carl Nathan, Michel Nussenzweig, Jeffrey Pollard, Michel Rabinovitch, Jeff Ravetch, Arthur Silverstein, Ralph Steinman, Joel Swanson, Alfred Tauber, Irving L. Weissman.

 

Produit par L'Oeil sauvage et France 5, le film documentaire Le Dur Désir de Durer, de Bernard Bloch, fondé sur le dernier chapitre de La Sculpture du vivant, a reçu le Prix Art au 3ème "International Science Film Festival" d'Athènes.
Le film a été diffusé sur France 5 le 24 juin 2008

Sous presse:
Les Couleurs de l'Oubli
de François Arnold et Jean Claude Ameisen
Postface de Marie-France Maugourd
Sous presse aux Éditions de l’Atelier.